81 Book R e v i e w s / C o m p t e s R e n d u s Mohammed Bedjaoui, Helder Camara, Roger Garaudy, Joseph Ki-Zerbo, Aurelio Peccei, Han Suyin, et Lucien Morin, Eduquer au dialogue des civilisations. Les Editions du Sphinx, 728, de la Colline, St-Jean-Chrysostome, Québec, Canada, GOS 2T0, 1983, 150 pp., 9.95S Produire un bon ouvrage collectif constitue un véritable défi. Il ne suffit pas, en effet, que le sujet se prête à des analyses ou à des discussions à facettes multiples, il faut encore que les auteurs soient de statures comparables quant à la compétence et à la notoriété et qu'ils présentent des points de vue originaux et complémentaires; enfin, il est bon que l'ensemble de l'ouvrage porte matière à réflexion et, si possible, à provocation. C'est ce genre de défi que cherche à relever ce petit livre de présentation sobre et attrayante, publié par une jeune et audacieuse maison québécoise, les Editions du Sphinx. Et il y a tout lieu de croire qu'il y réussira, d'abord parce que les auteurs qu'il réunit sont reconnus à travers le monde pour leur combat en faveur du respect de l'homme et ensuite, parce que leur plaidoyer pour l'éducation au dialogue des civilisations s'appuie sur la thèse actuellement controversée du "tiers-mondisme". Le Congrès mondial des sciences de l'éducation sur "L'école et les valeurs" organisé par l'Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) en juillet 1981 a servi de cadre à un forum international sur le thème "Pour un dialogue des civilisations". Les organisateurs du forum avaient opté pour la formule de la table ronde où des participants, reconnus et respectés sur la scène internationale, étaient invités à apporter leurs témoignages sur la valeur du dialogue et sur le dialogue des valeurs entre civilisations. Par leurs idées, par leur engagement, par leur vie même, ces invités ont souvent cherché â faire valoir la nécessité du dialogue entre les nations et ils se sont, de ce fait, mérité une réputation mondiale. Ils ont pour noms: Mohammed Bedjaoui, juriste, ambassadeur permanent de l'Algérie aux Nations Unies; Helder Camara, archevêque de Recife, architecte de plusieurs mouvements internationaux pour la justice et la paix; Roger Garaudy, directeur de l'Institut pour le dialogue des civilisations à Paris; Joseph Ki-Zerbo, historien de Haute-Volta, conseiller auprès de l'Unesco; Aurelio Peccei, président fondateur du Club de Rome; Han Suyin, célèbre écrivain de Chine. Quant à Lucien Morin, qui est maintenant professeur à l'Université Laval, à Québec, il est bien connu pour ses nombreux ouvrages en éducation, dont L'éducation et les valeurs et, dernièrement, L'éducation en prison, un collectif où il est à la fois éditeur et co-auteur. A titre d'organisateur du forum et de responsable de la table ronde, Monsieur Morin a vu à la révision et à la transcription des interventions enregistrées. Mais sa participation à cet ouvrage ne s'arrête pas là. Il a en effet rédigé la première partie du livre, intitulée "Eduquer au dialogue", dans laquelle il démontre que le besoin d'unité et de raccordement chez l'homme ne peut se satisfaire que par le dialogue qui est "semence d'harmonie" (p. 12). Ce besoin d'unité et de raccordement prend la forme symbolique de "l'Arbre de l'universel dialogue" que l'on 82 Book Reviews/Comptes Rendus doit entretenir par l'éducation, entendue dans son sens étymologique premier de "nourrir, c'est-à-dire donner" (p. 15). Par une argumentation serrée, entrecoupée de jugements sévères sur l'éducation actuelle aux prises avec des "stratégies évaluatives ivres de rendement" (p. 16) et avec "la suspicion des savoirs au pouvoir" (p. 17), Lucien Morin s'efforce de faire voir à quelles conditions l'éducation au dialogue des civilisations "pourra réconcilier tous les hommes" (p. 16). La pensée est dense, le style, souvent imagé et le vocabulaire, abstrait, ce qui, au premier abord, rend la lecture parfois difficile. Les exposés des participants à la table ronde, qui suivent le texte de Lucien Morin, constituent la partie centrale, l'élément essentiel de ce livre qui comprend aussi, en guise de "complément", un texte de Garaudy: "Pour un dialogue des civilisations" et un de Peccei: "Eduquer ci la conscience planétaire". Roger Garaudy, qui agit comme animateur du panel, ouvre la discussion en racontant le rêve étrange qu'il a fait et dans lequel il se voyait, assistant à un congrès sur l'éducation organisé en l'an 2020. Des conférenciers africains, asiatiques et arabo-islamiques, y analysent l'échec de l'hégémonie occidentale du XXe siècle: influence indue de la religion de la croissance, de la superproduction de biens — surtout des armes; hyperdéveloppement des techniques de cupidité — le marketing — contrôlées par les technocrates au servicedesmulti-nationales;enfin, impossible dialogue entre les civilisations à cause de l'existence d'une "seule trajectoire de développement humain, celle de l'Occident" (p. 38). La solution: changer le système éducatif occidental qui est trop dogmatique et qui réduit le réel à des concepts et la réalité spirituelle à la pensée. L'exposé de Garaudy, vivant, articulé, séduisant, donne le ton à la discussion: les autres participants ne manqueront pas, en effet, de venir témoigner ti ce procès de l'Occident et d'appuyer le mouvement d'oecuménisme politique prôné par l'auteur de l'Appel aux vivants. Le premier, Mohammed Bedjaoui, croit que "le dialogue des civilisations est une illusion parce que l'impérialisme est une réalité" (p. 55). Selon lui, si l'Occident veut dialoguer maintenant, "ce n'est pas pour connaître la culture des autres, ( . . .) c'est pour sortir (. . .) de sa propre impasse culturelle" (p. 57). Ici encore c'est l'exploitation du tiers-monde par l'Occident qui est dénoncée, exploitation qu'on pourra éliminer si l'on sait "démocratiser les relations internationales et (. . .) créer un monde multipolaire" (p. 60). Joseph Ki-Zerbo non plus ne croit pas que le dialogue soit possible "parce que l'Occident nous a paralysés par son action directe sur l'histoire" (p. 68). Pour contrer les effets de la civilisation occidentale: l'écriture, la roue, la religion universelle, les armes, etc., il suggère de prendre l'exemple sur l'Afrique où l'éducation est une "responsabilité communautaire", de caractère "polytechnique", (. . .) "liée au travail productif et à la culture", etc. (p. 77). C'est avec beaucoup moins de sévérité que Dom HelderCamara juge l'Occident: "Vous savez, à propos du dialogue, je pense que tous les hommes blancs ne pensaient pas toujours de cette manière hautaine et raciste. (. . .) Il y avait aussi des 83 Book R e v i e w s / C o m p t e s Rendus raisons profondément saines pour vouloir aider les autres peuples, des peuples de couleurs" (p. 85). Puis, après avoir donné une petite leçon à ses collègues', "j'essaye de ne pas juger, et surtout de ne pas juger le passé avec la vision d'aujourd'hui. Mais c'est très difficile. . ." (p. 86), il leur montre qu'il y a encore "de clairs signes d'espérance" (p. 89), car "ce qui donne une vraie consolation, (. . .) ce sont les jeunes" (p. 92). Han Suyin vient aussi témoigner contre l'Occident qui ne comprend pas la Chine parce qu'il l'examine avec ses "expressions", ses "concepts", ses "termes" (p. 101). Pour elle, "aucun dialogue n'est possible sans un profond respect de la dualité humaine" (p. 105). Aussi faut-il "discuter de progrès, de justice, de nationalisme, de croissance", mais sans chercher à "établir " s o n " bien par rejet de l'autre" (p. 108). Enfin, Aurelio Peccei, qui clôt le débat, rappelle qu'il y a possibilité de dialogue parmi les jeunes mais, précise-t-il, il est nécessaire "d'acculturer nos hommes politiques, de les mettre à même des réalités de cette nouvelle ère, l'ère planétaire" (p. 113) et, surtout, il faut "sortir de ce piège de la souveraineté nationale qui empêche le dialogue des civilisations, c'est-à-dire le développement de l'humanité" (p. 115). Ce qui ressort, avant tout, de cette table ronde, c'est, rappelons-le, la thèse du "tiers-mondisme" selon laquelle les pays sous-développés sont victimes des occidentaux qui les pillent, dans leur insatiable besoin de croissance, et qui les atrophient, dans leur souci de répandre "la" civilisation. Le sujet est brûlant d'actualité: aussi ce petit livre devrait-il susciter l'intérêt de tous ceux qui participent, à titre de défenseurs ou d'adversaires, à la querelle sur le tiers-monde, ou qui y assistent à titre d'observateurs philosophes ou politiques. Mais il se dessine, en filigrane de cette plaidoirie pour le tiers-mondisme, un appel vibrant et de plus en plus confiant en faveur d'une éducation basée sur le dialogue, une éducation qui, selon le mot de Garaudy, prend "la dimension de transcendance" et éveille "la conscience que chacun de nous est personnellement responsable de l'avenir de tous les autres" (p. 134). Pour tous les éducateurs authentiques, perdus dans le fouillis des théories nouvelles, la philosophie éducative proposée ici devrait servir de point de départ à un programme d'action "révolutionnaire". En somme, voilà un petit livre riche de réflexions et d'espoirs, susceptible d'intéresser non seulement ceux qui se préoccupent du tiers-monde et de l'éducation mais aussi ceux qui s'inquiètent de l'avenir de l'Homme. Mario Ferland Université' Laval