Le Financement de la recherche universitaire* LIVIA M. THÙR** RÉSUMÉ Il faut, dès maintenant, mieux planifier à long terme l'ensemble des programmes de financement pour la recherche universitaire. De 1962 à 1974, avec la croissance rapide de l'économie canadienne, on vit mettre sur pied un bon nombre de programmes de financement dans le domaine de la recherche universitaire comme dans d'autres domaines. Cette politique expansionniste plafonna au début des années 70. L'effritement de la croissance économique exige actuellement une révision de ces pratiques généreuses. Il ne s'agit ni de la coupure de ces programmes importants, ni d'un arrêt de tout nouveau programme, mais plutôt de savoir les coordonner plus efficacement. ABSTRACT Financing University Research Starting now, we must make better long range plans for our various schemes of financing university research. With the rapid growth of the Canadian economy from 1962 to 1974, we saw the establishment of several programs for financing university research. A trend we saw in other areas as well. This expansionist policy came to a plateau in the early 1970's. The deterioration in economic growth now demands that we revise these generous practices. It is not a question of cutting out these important programs, nor of curtailing plans of any new program. We must however learn how to better co-ordinate these efforts. La perspective dans laquelle je situe le financement de la recherche universitaire est une perspective de long terme. Je pense, en effet, qu'il serait utile que les problèmes auxquels nous faisons face à l'heure actuelle, les problèmes du court terme, soient éclairés par des perceptions du long terme dont la mienne n'est évidemment qu'une parmi d'autres, celle d'un observateur au Ministère d'Etat aux Sciences et à la Technologie. * Communication présentée à la conference annuelle de la Société canadienne pour l'étude de l'enseignement supérieur, Québec, juin, 1976. **Vice-président associé, Office national de l'énergie. 44 Livia M. T h ü r En 1944-45 il y avait 17 universités au Canada qui offraient des programmes d'études avancées. Trente années plus tard, nous en avons 52. L'extension de nos capacités de recherche qui allait de paire avec le développement des programmes d'études avancées est due à l'éffort conjoint de nos universitaires et de l'Etat. C'est leur coopération qui a conduit au réseau d'octrois et de programmes du Conseil national de recherche, du Conseil médical de recherche et du Conseil des arts. Ces conseils, par l'attention qu'ils ont portée aux chercheurs de toutes les régions du Canada et par l'application qu'ils ont faite de critères uniformes d'excellence sont devenus un des plus importants déterminants d'un système de recherche universitaire relativement homogène à l'intérieur duquel la mobilité des chercheurs et des étudiants constituent un acquis majeur. Ce système vit et se transmet grâce à l'évaluation par les pairs, disséminés dans l'ensemble de nos universités et aidés, à l'occasion, par des chercheurs d'autres pays. Les conseils ont été financés généreusement au cours des années 60, leur financement a connu un ralentissement et un plafonnement au milieu des années 70 et aujourd'hui nous nous posons non sans anxiété la question: qu'adviendra-t-il du financement des conseils à l'avenir? De 1962 à 1974 l'économie canadienne a connu une longue période de croissance rapide. Pendant ces années les recettes des gouvernements augmentaient plus rapidement encore que l'économie dans son ensemble grâce à la progressivité de l'impôt sur le revenu des personnes et grâce à une imposition fiscale accrue. Aussi n'était-il pas surprenant de voir que les années fiscales, contrairement aux prévisions, se sont souvent terminées par des surplus budgétaires. Les conditions fondamentales étaient donc idéales pour que les autorités publiques lancent un certain nombre de programmes afin de satisfaire de façon systématique les besoins et aspirations diverses de la population qu'il s'agisse de l'hospitalisation, de l'éducation, de I'assurance-santé ou d'autres. L'expansion exceptionnellement longue qu'ont connue les pays industrialisés et qui leur a permis d'introduire de tels programmes les a cependant conduit vers des goulots d'étranglement, certains naturels, d'autres accidentels, et nous avons tous abouti dans des situations analogues: croissance économique faible, zéro ou négative, taux de chômage élevés, pressions inflationnistes croissantes. Les perspectives d'expansion se sont assombries; l'audace et la témérité ont fait place à la circonspection et à la prudence. La vitesse de croisière des dépenses des principaux programmes apparaissait dans ce nouveau contexte excessive. Aussi fallait-il appliquer des freins aux dépenses. Que certains programmes aient été affectés davantage que d'autres, est dû à une des caractéristiques de nos finances publiques: dans le passé ce sont surtout les programmes statutaires, c'est à dire les programmes dont les dépenses sont incompressibles à court terme qui se sont développés. Dans l'immédiat ce ne sont par conséquent que les dépenses discrétionnaires qui pouvaient être réduites. Et comme leur proportion n'est pas grande dans l'ensemble des dépenses, elles ont été atteintes d'autant plus durement. Les faits qui viennent de se produire sont sans doute temporaires. Les restrictions imposées aux dépenses de certains programmes discrétionnaires seront probablement levées graduellement, au fur et à mesure que la situation budgétaire s'améliorera et que des changements de législation permettront de freiner les dépenses des programmes statutaires également. Néanmoins, il faut aussi convenir que pendant des années la croissance économique et les recettes des gouvernements évolueront à des rythmes plus modérés que dans 45 Le f i n a n c e m e n t de la recherche universitaire le passé. Par conséquent, les arbitrages budgétaires continueront à être exigeants et difficiles, les justifications des dépenses devant être de plus en plus spécifiques. Il n'est certes pas exagéré de penser que les gouvernements établiront des priorités générales et que des priorités devront également être définies dans chaque groupe de dépenses. Nous pouvons nous demander quelles sont les implications de cet état de chose pour la recherche universitaire? La signification fondamentale de la recherche universitaire ne changera certainement pas. En effet, celle-ci, en faisant avancer les connaissances contribue à la formation des étudiants en général et à la formation des futurs chercheurs en particulier. Quant au financement de la recherche universitaire, le montant global attribué à celle-ci par l'Etat restera objet de décision politique. Je pense que c'est le plaidoyer du dossier de la recherche universitaire qui devra probablement s'adapter aux conditions nouvelles non pas seulement parce que l'arbitrage budgétaire devient de plus en plus exigeant pour toutes les dépenses publiques mais aussi parce que la raison sous-jacenté aux augmentations des budgets des conseils de recherche des années 1960 n'a plus sa force d'antan. Dans la décennie 60 le nombre des étudiants du premier cycle a doublé et celui des étudiants aux études avancées a quintuplé. Dans ces conditions il aurait été superflu d'être spécifique sur les raisons de l'augmentation des budgets de recherche. Toutefois, c'est le passé. L'avenir aura ses exigences propres qu'il sera probablement difficile de satisfaire en demandant simplement un pourcentage d'accroissement, appliqué au budget d'une année choisie du passé, ou encore un pourcentage du Produit National Brut comparable à celui d'un pays étranger, choisi parmi d'autres. Que des moyens financiers plus considérables permettent d'entraîner un plus grand nombre de chercheurs, que plus de chercheurs produisent plus de recherche et par conséquent plus de connaissances nouvelles au service de l'homme est incontestablement vrai à la condition, bien entendu, de ne pas supposer des relations linéaires dans cet enchaînement. Toutefois il est à craindre qu'à l'avenir, ceux qui prennent les décisions budgétaires trouvent de tels arguments généraux peu convaincants et requièrent des justifications plus précises. Je pense que les futurs dossiers devront démontrer l'importance de la recherche universitaire pour notre avenir collectif de même que les besoins que notre société aura de diplômés universitaires dans les différentes disciplines. En d'autres termes, ces dossiers devraient pouvoir mettre en évidence les lignes de force de nos efforts de recherche soit pour faire avancer nos disciplines, soit pour maintenir l'excellence acquise dans certains domaines, soit pour faire progresser la recherche indispensable à la solution de problèmes d'ordre national ou international. Ces lignes de force ne devraient jamais signifier la suppression de démarches individuelles multiples dans des directions diverses mais bien la concentration de moyens accrus nécessaires à la poursuite de nos efforts dans des domaines spécifiques. Seule la communauté universitaire pourra les définir. Les secteurs privés et publics devront y contribuer en spécifiant leurs propres objectifs et priorités. Les dossiers devraient aussi pouvoir esquisser sinon préciser les besoins de notre société en diplômés dans les disciplines dans lesquelles de tels besoins peuvent être raisonnablement détectés. La responsabilité des prévisions devra être assumée conjointement par la communauté universitaire et les secteurs privés et publics. 46 Livia M. Thür Cette approche pour être efficace, c'est-à-dire pour être orientée vers l'avenir et rester ancrée dans le réel devra devenir un processus d'échanges organisé puisant à la fois et systématiquement dans les connaissances que les disciplines ont d'elles-mêmes et dans la perception que les secteurs privés et publics ont eux-mêmes de leurs besoins en fonction des objectifs qu'ils poursuivent. Voici un point de vue sur la recherche universitaire, point de vue qui ne prétend pas être nouveau, qui est simple dans son énoncé, complexe dans ses implications mais prometteur, je le crois, pour notre avenir à tous. Si, en effet, la recherche universitaire ne parvenait pas à se situer dans le processus de décisions politiques qui est un art de compromis, un art de choix et donc de priorités, elle ne réussira pas à se faire entendre à son mérite. Quant à la connaissance que les disciplines ont d'elles-mêmes, pivôt central des démarches nécessaires à la préparation de l'avenir de la recherche universitaire, j'aimerais attirer votre attention sur le rapport du Conseil des Sciences sur les mathématiques. Ceux d'entre vous qui ont eu le plaisir de lire et de relire ce rapport, oeuvre de nos mathématiciens, savent qu'il est possible de connaître l'état d'une discipline dans toutes ses ramifications et d'en tirer les éléments-clefs propres à soutenir des recommandations stratégiques. Je suis convaincue que les responsables du rapport pourraient aisément s'insérer demain dans un plaidoyer raisonné du dossier de la recherche universitaire. Puis-je ajouter, enfin, que l'établissement de champs prioritaires dans la recherche, incluant partie de la recherche universitaire, n'est pas sans précédent. Nombre de pays développés y ont recours. Et les Etats-Unis, par le rétablissement, sous une forme nouvelle, de la fonction de conseiller scientifique à la Maison Blanche y tendent également. Le Sénateur Kennedy en présentant la loi qui recrée cette fonction aux rédacteurs scientifiques des Etats-Unis le 27 avril dernier, a illustré comme on ne pourrait mieux notre préoccupation en disant ce qui suit: Science and technology constitute a national resource — made up of people, facilities, and knowledge. . . the Science Advisor and others throughout the government must engage in planning and technology assessment to assure optimum utilization of those resources. . . . It is precisely this kind of planning which is lacking in most national programs, ,4s a result, we find ourselves lurching from crises to crises - whether in energy, raw materials, or food — without any plan of action or any appreciation of future problems . . . . We first have to exorcise the anti-planning demon which has plagued public discourse in our country over the past century. Effective planning doesn't lead to loss of personal liberty; I believe it enhances it. * *En français: La science et la technologie constituent une ressource nationale - qui réalise l'intégration de personnes, d'installations et de connaissances. Le Conseiller responsable des Sciences doivent s'engager à orienter la planification et la technologie pour garantir l'emploi optimum de ces ressources. . . C'est justement cette sorte de planification qui manque à nos programmes nationaux. Comme résultat, nous nous trouvons toujours au bord d'une nouvelle crise - par exemple dans le secteur de l'énergie ou celui des matières premières, ou encore celui de l'alimentation - sans plan d'action ni évaluation des problèmes futurs. Il faut d'abord exorciser le démon qui se met en travers de la voie de la planification - démon qui a tourmenté les débats publics de notre pays tout au cours des cent dernières années. La planification efficace n 'aboutit pas à la perte de la liberté personnelle. Je crois plutôt qu 'elle la met en valeur.