The Canadian Journal of Higher Education, Vol. XXII-3, 1992 La revue canadienne d'enseignement supérieur, Vol. XXII-3, 1992 L'idée de science chez des enseignants en formation: Une analyse quantitative et qualitative à partir d'un test LOUISE GUILBERT* Résumé Malgré un intérêt accru concernant la compréhension par les élèves de l'entreprise scientifique et de son mode de production de connaissances, peu d'études ont été consacrées aux futurs enseignants. L'idée de science chez de futurs enseignants de sciences du secondaire et du collégial a donc été questionnée et ce, dans l'optique que ces enseignants contribueront, consciemment ou non, à éveiller chez leurs élèves une certaine idée de science ainsi qu'un recul plus ou moins critique face à la construction du savoir scientifique. Le test TOUS, auquel quelques modifications ont été apportées par l'équipe de recherche, a été utilisé dans cette étude étant donné le grand nombre d'étudiants impliqués. Une analyse quantitative traditionnelle a été effectuée ainsi qu 'une analyse qualitative, de sorte que les divers choix de réponses ont été pris en considération dans l'explicitation de l'idée de science. Globalement, les résultats quantitatifs obtenus semblent indiquer une meilleure connaissance des stratégies utilisées en science et des scientifiques eux-mêmes que des finalités et de la nature de l'entreprise scientifique. Pour environ un tiers des futurs enseignants, les faits seraient considérés en soi non seulement comme un moyen mais comme des connaissances scientifiques et leur cueillette serait la finalité des sciences. Des tendances empiriste ou constructiviste semblent se retrouver dans notre population. Mais ce qui surprend c'est l'apparente mixité de l'idée de science chez près de la moitié des futurs enseignants, c'est-à-dire une vision tantôt empiriste, tantôt constructiviste selon les facettes de la science qui sont envisagées. Abstract Over the last three decades, there has been renewed interest on the part of educators, researchers and associations devoted to science teaching, in understanding students' epistemological knowledge or, in other words, their beliefs about the nature of science, its way of constructing knowledge, its limits and its criteria. In spite of this international concern, little research has been * Faculté des Sciences de l'Education, Université Laval L'idée de science chez des enseignants en formation 77 devoted to investigating pre-service teachers' conceptions about science. In this experimental research, we investigate the conception of science among future high school and college teachers with a Bachelor of science degree. The literature review suggests that the teachers ' conception of science influences the students own conception which, in turn, can have an impact on students' learning strategies or on the way they see themselves as learners. This was our first pedagogical motivation in initiating this research; the second involved the importance for critical thinking in science, as a means of acquiring epistemological knowledge, in order to be able to step back and form a critical judgment on science-society interactions. To investigate the conception of science among our future science teachers, we chose the "Test On Understanding Science" (TOUS), already translated into French, which, however, had to be modified and validated. The results were analysed in a usual quantitative fashion but also in a new qualitative way where the choice of items, adequate or not, were considered in order to reconstruct the conception of science of pre-service teachers. As a whole, the quantitative results obtained seem to indicate better understanding of tactics and strategies used in science and how scientists are as persons, rather than the intrinsic nature of science and its aim. From the qualitative analysis, we can infer that for nearly a third of pre-service teachers: the facts in themselves are a kind of scientific knowledge, and the gathering of facts appears the aim of science and not just a means toward an end. In our sample, we find empiricist and constructivist perspectives about science but, surprisingly, it seems that almost half of the subjects change their perspective depending on the aspect of science considered. Is this indicative of a possible ongoing conceptual change? Introduction Depuis plus de vingt ans, le développement d'une culture scientifique de base et son accessibilité pour tous ressortent comme étant des objectifs de l'enseignement des sciences de plus en plus valorisés. En 1966, Pella et ses collaborateurs (cités dans Roberts, 1983, p. 29) ont analysé une centaine d'articles afin de déterminer le sens donné à "culture scientifique". Malgré l'image polyvalente qui en ressort, ces auteurs mettent en évidence divers points de convergence, du moins en ce qui concerne les termes utilisés: la nature de la science, les relations science-technologie-société et la déontologie en science. La compréhension de l'entreprise scientifique et de son mode de connaissance constitue donc une part importante du concept de culture scientifique. D'autres chercheurs et pédagogues (Carey et Stauss, 1970) appuient cet objectif de 78 Louise Guilbert l'enseignement des sciences; selon eux, la science devrait davantage être présentée comme une entreprise dynamique où les scientifiques travaillent généralement par petits groupes à construire un nouveau savoir plutôt qu'à une accumulation de connaissances. Aux États-Unis, la compréhension de la nature de l'entreprise scientifique est considérée comme une finalité majeure de l'enseignement des sciences, du moins dans les dires, par l'Association américaine pour l'avancement des sciences (AAAS, 1989) et l'Association nationale des enseignants de science (NSTA, 1982). Plus près de nous, le Conseil des sciences du Canada (1984), à la suite d'une recherche effectuée sur l'enseignement des sciences dans les écoles canadiennes, souhaite aussi que la présentation de la nature de la science dans les écoles soit faite d ' u n e manière plus c o n f o r m e aux visions contemporaines et constitue une des finalités de l'enseignement des sciences : "L'image des sciences et de la technologie présentée aux élèves devrait inclure leurs aspects historiques, sociaux et philosophiques." (Abrégé du rapport 36, p. 8); "Il faut que les élèves saisissent les mécanismes des sciences. Cet objectif porte davantage sur l'investigation scientifique et son histoire que sur les résultats des sciences." (Abrégé de l'étude 52, p. 9). "Il faudrait, enfin, que les élèves apprennent à évaluer les fondements de leurs connaissances scientifiques, et prennent conscience de la nature hypothétique des concepts de réalité et d'entendement humain" (Rapport 36, p. 17). Dernièrement, deux conférences majeures en histoire et philosophie des sciences (History and Philosophy of Science, 1991, 1992) ainsi que le lancement d'une nouvelle revue "Science & Education", témoignent bien de l'intérêt de plus en plus soutenu face à l'idée de science en éducation. En plus d'un besoin de culture scientifique pour l'ensemble des citoyens, une idée de science, plus conforme au contexte socio-politique réel présidant à la construction du savoir scientifique, serait peut-être une façon adéquate d'attirer et de retenir plus d'hommes et de femmes dans les carrrières scientifiques. L'enjeu n'est pas un débat théorique stérile car il pourrait possiblement permettre au Canada de combler un certain retard dans la formation de scientifiques de haut niveau. Un document gouvernemental suggère : "En outre, les secteurs de recherche universitaire et gouvernementale auront besoin vers le milieu des années 90 de titulaires de doctorat pour occuper un grand nombre de postes en recherche qui seront devenus vacants" (CRSNG, 1989, pp. 13-14). Cet organisme ajoute: "Nous devons chercher à stimuler l'intérêt à l'égard des programmes d'études supérieures au moyen de diverses interventions (...) Plusieurs facteurs personnels, sociaux et économiques ont une influence sur la décision des L'idée de science chez des enseignants en formation 79 étudiants d'entreprendre des études en sciences ou en génie (...) la désillusion face au système universitaire, un manque d'intérêt pour la recherche, une méconnaissance des défis offerts par une carrière de recherche" (CRSNG, 1989, PP. 15). Malgré cet engouement, du moins dans les intentions, face à l'enseignement des aspects historique, social et philosophique de la science aux élèves, il serait utile de se poser les questions: quelle est l'idée de science des enseignants et pourquoi est-ce si important? Cet article tente de répondre à ces questions en caractérisant la pertinence pédagogique sous deux aspects, puis en décrivant le cadre conceptuel qui sous-tend cette recherche. Par la suite, les aspects méthodologiques ainsi que les modifications apportées à l'instrument de mesure original et sa validation sont décrits. L'analyse des résultats est effectuée par une approche à la fois quantitative et qualitative.' Les positions conceptuelle, méthodologique et épistémologique de cette recherche ainsi qu'une comparaison avec des recherches similaires serviront d'appareil critique. Pertinence pédagogique Face à l'importance grandissante accordée aux aspects historique, social et philosophique de la science (Matthews, 1992), différentes recherches ont été effectuées depuis quelques années auprès des enseignants et de leurs élèves concernant respectivement leur idée de science (Lederman, 1992) versus leurs stratégies d'enseignement (Brickhouse, 1990) ou d'apprentissage. Beers et Bloomingdale (1983, cités par Edmondson 1989) soutiennent que l'idée de science des enseignants influence les présupposés de leurs stratégies d'enseignement. Selon Robinson (1969, cité par Abell, 1989) et Fenstermarcher et Soltis (1986, cités par Abell, 1989), la conception de la nature de la science des enseignants conditionne leurs comportements en classe et l'enseignement de quel que sujet que ce soit laisse transparaître l'approche de l'enseignant et sa façon d'appréhender un contenu scientifique. Une première conclusion semble émerger des résultats de ces différentes recherches: l'idée de science de l'enseignant influence son comportement général en classe. D'autres études tendent à démontrer que la vision de la science des enseignants (Jungwirth, 1971) et le style d'enseignement (Evans et Baker, 1977; Ruba, Horner, et Smith, 1981) influencent les attitudes et les croyances des étudiants envers la science. Dans l'étude d'Edmondson (1989), les étudiants de collèges américains décrivent leurs professeurs comme hautement influents particulièrement par rapport à leurs représentations de la nature du savoir scientifique. Ce deuxième groupe de résultats conduit à cette conclusion: il 80 Louise Guilbert semble y avoir une relation entre les comportements de l'enseignant en classe et les changements conceptuels que ce dernier peut initier chez les élèves concernant leur idée de science. De plus, selon Edmondson (citée plus haut), il semble y avoir une relation entre l'idée de science des élèves et leur démarche d'apprentissage. En effet, cette chercheure a procédé par questionnaire et entrevues auprès de 559 élèves de collèges et a conclu que leur vision de la science oriente le choix de leurs stratégies d'apprentissage. En résumé, ces recherches semblent indiquer que l'idée de science de l'enseignant influence ses stratégies d'enseignement lesquelles, de manière implicite et parfois explicite, influencent la vision qu'ont les élèves du mode de production du savoir en science et, par ce biais, leur propre mode d'appréhension du savoir. Face à ces diverses conclusions, une meilleure compréhension de l'idée de science des enseignants actuels et futurs revêt une importance toute nouvelle, principalement à cause des effets possibles sur la façon qu'auront les élèves d'appréhender leur savoir. En plus de cet aspect concernant les modes d'appréhension du savoir par les élèves, un autre aspect, à plus long terme, a motivé cette recherche concernant l'idée de science des futurs enseignants. En effet, selon un modèle théorique concernant une définition opérationnelle de la pensée critique en science (Guilbert, 1990)2, la connaissance des limites, des critères et des modes de production du savoir serait essentielle à tout recul critique face à la science et à son rôle dans la société. La compréhension non idéalisée de la construction du savoir scientifique et de son contexte sociohistorique devrait permettre de diminuer les mythes de la vérité et de l'expert encore très présents même chez les futurs enseignants et probablement chez d'autres étudiants en enseignement supérieur. Ce sont donc ces deux aspects, l'influence possible de l'idée de science des enseignants sur le mode d'appréhension du savoir par leurs élèves ainsi que le rôle de l'idée de science dans la capacité de jugement critique face aux experts scientifiques, qui ont motivé le questionnement de l'idée de science des futurs enseignants de science. Vers une idée de science Avant de décrire les résultats de recherches concernant l'idée de science des élèves et de leurs enseignants, la description de l'idée de science sous-jacente à cette recherche sera esquissée. Plusieurs philosophes, sociologues ou épistémologues (Kuhn, 1972; Popper, 1962; Lakatos, 1970; Toulmin, 1972; Laudan, 1977; Shapere, 1977; Suppe, 1977) se sont consacrés à caractériser la nature de la science et le mode de production de son savoir. Par leurs divers L'idée de science chez des enseignants en formation 81 travaux — Kuhn au niveau de ses définitions de paradigmes, de science normale et de révolutions scientifiques, Lakatos par ses tentatives de définitions sur les noyaux durs et mous des programmes de recherche, Laudan par son interprétation des traditions de recherche et Shapere par sa caractérisation des domaines de recherche — ces auteurs ont contribué à définir le savoir scientifique comme une construction intellectuelle dans un contexte sociohistorico-politique. L'idée de science, à laquelle nous adhérons, s'apparenterait aux idées mises de l'avant par Toulmin et Kuhn, c'est-à-dire que les théories seraient des constructions spéculatives permettant une cueillette plus systématique d'observations. Elles tireraient leur origine d'un acte créatif tenant à la fois de la logique et de la créativité, c'est-à-dire d'une construction de l'esprit confrontée à l'expérimentation. L'abandon d'une théorie pour une autre serait un processus collectif influencé à la fois par le contexte sociohistorique (Toulmin), des valeurs professionnelles, sociales et psychologiques (Kuhn) mais aussi par la valeur prédictive et l'utilité de la théorie (Lakatos). L'observation seule ne permettrait pas la falsification d'une théorie puisqu'il n'y aurait pas d'expérience cruciale. Ainsi, la véracité du savoir ne pourrait être ni prouvée, ni confirmée par des observations, mais seulement objectivée collectivement. Il n'y aurait pas préexistence d'une réalité indépendante de nous, telles des lois immuables vers lesquelles tendrait le savoir scientifique dans sa quête de vérité. Le progrès du savoir ne serait pas une progression continue vers une vérité mais plutôt une notion relative jugée selon le contexte historique.3 Plusieurs recherches ont été menées afin d'investiguer l'idée de science chez les élèves (Cossman, 1969; Lederman et Druger, 1985; Mackay, 1971; Jungwirth, 1971; Aikenhead, 1973; Aikenhead, Fleming et Ryan, 1987; Evans et Baker, 1977; Rubba, Horner et Smith, 1981; Edmondson, 1989; Désautels et Larochelle, 1990; Solomon et al., 1992), et chez les enseignants en exercice (Schmidt, 1967; Kimball, 1968; Carey et Stauss, 1970; Billeh et Hasan, 1975; Rubba et Andersen, 1978; Elghordaf, 1985; Lederman, 1986; Brickhouse, 1990; Arora et Kean, 1992; Dager et Cosman, 1992). Ces divers résultats semblent indiquer un certain décalage entre "les conceptions des élèves et des enseignants", d ' u n e part, et "les prises de position contemporaines en épistémologie des sciences", dominées par le constructivisme d'autre part. A l'exception de celle de Lederman (1986), les recherches effectuées chez les enseignants de science tendent à illustrer que ces derniers ont des conceptions jugées "inadéquates", par rapport aux visions constructivistes que partagent la majorité des épistémologues contemporains; l'idée de science des enseignants aurait un certain degré d'appartenance avec l'empirisme, le réalisme et le falsificationisme.4 82 Louise Guilbert Même s'il y a moins de recherches concernant les idées de science ou d'histoire des sciences chez les futurs enseignants, ces dernières ont aussi été scrutées: Carey et Stauss, 1968; Cotham et Smith, 1981; Ogunniyi, 1982; Scharman, Harty et Holland, 1986; Akindehin, 1988; Aguirre et al., 1989; Abell et Smith, 1992; Haggerty, 1992; Gagné, 1992. En résumé, il semble que les élèves et leurs enseignants, malgré certaines différences mineures, partagent une idée de science qui présente peu de recoupements avec les discussions épistémologiques contemporaines. Mais qu'en est-il actuellement de l'idée de science des bacheliers en sciences se destinant à l'enseignement au secondaire et au collégial, ceux qui auront à former la génération montante? C'est ce que cette étude se propose d'étudier. Aspects méthodologiques 1. Justification du choix méthodologique Pour certains tests, les auteurs ont cité intégralement des idées provenant de divers épistémologues de façon à mieux qualifier la vision de la science de leurs sujets. Certains problèmes sont inhérents à cette approche: (1) à partir d'un seul extrait, il est hasardeux de qualifier la vision du répondant; (2) certaines idées peuvent être représentatives de plusieurs visions à la fois et (3) certains énoncés, pouvant être qualifiés par certains de mutuellement exclusifs ou contradictoires, recueillent parfois un accord similaire parmi les répondants (Rowell et Cawthron, 1982; Ogunniyi, 1982). Ne devrait-on pas mettre ces idées en parallèle afin de permettre aux répondants de fixer leur choix par comparaison? Cette dernière suggestion revient un peu au choix proposé dans les tests traditionnels et il reste toujours la possibilité qu'aucun de ces choix ne représente fidèlement la pensée du répondant; de plus, ces tests forcent une évaluation dichotomique. Pour contourner cette lacune, plusieurs chercheurs (Rubba, 1976 cité dans Lederman 1986; Rowell et Cawthron, 1982; Lederman, 1986; Lederman et Zeidler, 1987) utilisent des échelles de type Likert; cependant, cela fait surgir un autre type de problème, car à partir de quelle valeur, doit-on considérer une réponse comme adéquate? De plus, même avec ces échelles, le problème du degré d'accord recueilli à des énoncés contradictoires et celui de l'appartenance de certains énoncés à plusieurs courants de pensée demeurent entiers. Face à ces problèmes instrumentaux, il n'existe pas une solution idéale, chaque instrument qualitatif ou quantitatif étant assujetti à ses propres limites. Pour pallier à ces difficultés, deux approches ont été utilisées: (1) l'utilisation du test TOUS (Test On Understanding Science)5 modifié dans le cadre de ce L'idée de science chez des enseignants en formation 83 projet de recherche afin qu'il corresponde davantage aux nouvelles prises de position en épistémologie des sciences et (2) la passation d'entrevues thématiques semi-structurées auprès de la même population. Les résultats obtenus au test TOUS modifié ont fait l'objet d'une évaluation quantitative afin de vérifier le degré d'accord aux items considérés comme le meilleur choix et d'une analyse qualitative afin d'avoir aussi une idée des leurres choisis. Les entrevues ont été utilisées en complément du test (Guilbert et Meloche, article soumis pour publication) car les choix proposés dans un test sont limitatifs et ne représentent pas entièrement l'opinion des répondants. Les entrevues offrent l'avantage de permettre la libre expression des interviewés sur certains aspects de la science; lorsque certaines idées émises spontanément lors des entrevues sont similaires à des items du test, cela permet d'évaluer le degré d'accord des répondants face à cet énoncé. Ces deux techniques d'investigation, le test et les entrevues, permettent : (1) de mieux cerner la représentation de la science chez les interviewés et ce, à cause de la liberté d'expression accordée dans les entrevues, et (2) de mesurer quantitativement le degré d'accord de certains énoncés similaires, retrouvés à la fois dans les entrevues et le test.6 2. Instrument de mesure Le 'Test On Understanding Science' (TOUS, forme W) (Cooley et Klopfer, 1961) est un test visant à mieux comprendre l'idée de science des étudiants concernant l'entreprise scientifique, les scientifiques, les méthodes, les stratégies et les finalités de la science. Selon Grobman (1972, p. 804), la plupart des items du TOUS sont excellents et demeurent appropriés; cependant, elle ajoute que son utilisation doit se faire avec prudence en tenant compte des objectifs visés, de son insistance sur certains aspects et finalement de l'ambiguité et de la pertinence de certains items. C'est justement pour répondre à ces objections que le type de réponses choisies a aussi été analysé plutôt qu'uniquement la réponse jugée comme plus adéquate. Étant donné la date de parution de ce test, l'évolution de l'épistémologie contemporaine ainsi que les critiques concernant certaines questions, (Grobman, 1972; Noli, 1972), ce test a été réaménagé dans le cadre de cette recherche. Huit questions ont été éliminées et des efforts ont été déployés pour désexiser le test. En effet, vingt-trois questions ont été modifiées afin de changer la formulation ou les mises en situation sexistes. Des modifications ont également été apportées à la traduction de 24 questions afin de respecter davantage l'esprit de la question originale. A l'origine, seulement trois sections composaient ce test: (1) l'entreprise scientifique, (2) les scientifiques ainsi que (3) les méthodes et finalités de la 84 Louise Guilbert science. Ces sections n'ont pas été retenues compte tenu qu'elles semblaient peu représentatives des préoccupations actuelles en épistémologie des sciences. Par exemple, il apparaît important de distinguer les méthodes des finalités de la science; de plus, compte tenu de l'intérêt grandissant des épistémologues, des chercheurs et des éducateurs concernant les relations science-technologiesociété, certains items concernant les pressions institutionnelles sur les scientifiques se devaient d'être regroupés afin de questionner l'idée des répondants face à ces interrelations. A cause de cette nouvelle problématique, six nouvelles sections ont été redéfinies dans le contexte de cette recherche en utilisant des modes de définition retrouvés en logique (Ravelo, 1987) et en linguistique: "L'examen du concept peut se faire selon divers aspects: sa genèse, sa composition, ses critères d'existence, ses manifestations extérieures, son fonctionnement et son utilité..." (Legendre,1988, p. 149). Les nouvelles sections ainsi redéfinies sont: (1) la nature de la science, (2) les sociétés scientifiques et la communication scientifique, (3) les scientifiques, (4) les méthodes et stratégies, (5) les finalités et (6) le contexte (relations sciencetechnologie-société) . Afin de classer les items du test selon leur appartenance logique aux six nouvelles sections préalablement définies, onze juges, professeurs et étudiants gradués,7 ont été choisis et diverses analyses statistiques ont été effectuées afin de vérifier la spécificité et la validité du test TOUS modifié. Les Tableaux 1 et 2 résument ces résultats. Le degré d'accord inter-juges (Tableau 1) est de 0,81 pour l'ensemble des questions, ce qui semble excellent compte tenu du recouvrement possible entre les facettes investiguées qui appartiennent à un même construit global, c'est-à-dire la science. Quant aux coefficients alpha des diverses sections, ils peuvent paraître faibles si on les analyse hors contexte mais, en tenant compte du fait que chacune des sections représente une facette différente d'un construit général et non un trait unique, ils semblent acceptables surtout si on considère le coefficient du test total et l'accord inter-juges. La spécificité des catégories, en ce qu'elles mesurent ou non le même construit, a été testée par une comparaison deux à deux des six catégories à l'aide du coefficient de corrélation de Pearson (Tableau 2). Selon ces coefficients, certaines sections du test ne seraient pas complètement indépendantes les unes des autres et pourraient mesurer en partie des aspects similaires. Ces sections sont 1 et 4, 2 et 4, et 4 et 5. Huit des 11 juges ont aussi mentionné la présence de zones de recouvrement entre les divers aspects mesurés; ces dernières étaient: 1 (nature) et 4 (méthodes), 1 et 5 (finalités) et, 4 et 5. En résumé, sur les quinze appartements de sections, il n'y en a que trois qui pourraient laisser supposer un certain recouvrement des construits, ce qui nous paraît très acceptable compte tenu de la complexité du construit à investiguer: l'idée de science. Un point Tableau 1 La validation statistique du test TOUS "Test On Understanding Science" modifié. Sections 1. Nombre d'items Coefficient alpha 0,72 Nature Accord inter-juges 0,18 # Items problématiques* (accord inter-juges) [indice de difficulté] #51 (0,64) [0,72] 2. Sociétés se. 0,93 0,20 0,97 0,27 Comm. Sc. 3. Scientifiques 7 #22 (1,00) [0,30] 4. Méthodes et 0,80 0,37 5. Finalités 6 0,65 0,19 #26 #38 #48 (1,00) [0,77] 15 stratégies (1,00) [0,97] (0,82) [0,12] #1 (1,00) [0,92] 6. Contexte 11 0,79 0,30 #4 (1,00) [0,58] 0,64 53 0,81 7 items/53 (13%) Les items retenus sont considérés comme problématiques car la corrélation item total au sous-test ou au test < 0,005 TOTAL * Tableau 2 C o e f f i c i e n t de corrélation de P e a r s o n / CP > IRI si H o : R H o = 0) des sections du test T O U S (n = 45) Section 1 Section 1 (Nature) Section 2 (Sociétés se.) Section 3 (Scientifiques) Section 4 (Méthodes) Section 5 (Finalités) Section 6 (Contexte) Section 4 Section 5 Section 6 Section 2 Section 3 0.26 0.07 (0.67) 0.49 (0.0007) 0.23 (0.12) 0.11 (0.45) 0.15 (0.33) 0.60 (0.0001) 0.32 (0.03) -0.005 (0.97) 0.31 (0.04) 0.11 (0.45) (0.20) 0.43 (0.003) 0.18 (0.24) (0.08) 0.20 -0.21 (0.17) L'idée de science chez des enseignants en formation 87 pourrait expliquer cette similitude: les théories et modèles constituent une partie de l'ensemble du savoir mais sont aussi à la base des stratégies expérimentales. En résumé, il semble que ce test modifié puisse aider à mieux cerner l'idée de science des futurs enseignants. En effet, à la suite des modifications apportées au TOUS (annulation de questions, désexisation, reformulation, reclassification des items), ce test semble adéquat en regard de sa validité (accord inter-juges), de sa spécificité de construit (corrélation de Pearson) ainsi que du peu d'items problématiques (13%) retrouvés. 3. Description de l'échantillon Le test a été complété par 105 étudiants inscrits à un certificat de pédagogie pour l'enseignement collégial ou secondaire (95%) ou à un baccalauréat en enseignement secondaire (5%). Les futurs enseignants de sciences détiennent en très grande majorité au moins un baccalauréat (Tableau 3), soit en sciences pures (60%), en sciences appliquées (26%), en sciences de la santé (13%). Les étudiants inscrits aux trimestres d'automnes 1987 et 1988 constituent l'échantillon de la population à l'étude, c'est-à-dire l'ensemble des étudiants inscrits au certificat de pédagogie pour l'enseignement collégial ou secondaire en sciences et à un baccalauréat en enseignement secondaire option sciences. Comme les moyennes obtenues au score total par ces groupes ne différaient pas significativement à la suite de l'application du test t et étant donné le faible nombre d'étudiants, environ 50, pour une année scolaire, les résultats des deux groupes ont été fondus pour former l'échantillon. Contrairement à la population totale des étudiants en sciences pures et appliquées ou en sciences de la santé où les taux de féminité sont de 24,4% et 65% respectivement (Guilbert, 1985), les hommes et les femmes inscrits au certificat sont en proportions égales (Tableau 3). Si on considère la proportion des diverses spécialités retrouvées dans le cours de didactique des sciences, un taux de féminité de 30% (moyenne pondérée) serait représentatif de l'ensemble de la population au baccalauréat en sciences. Le taux de féminité de 50% retrouvé dans les cours de didactique et ce, à chaque année, pourrait suggérer que, chez les étudiants en sciences, il y a plus de filles que de garçons qui bifurquent vers l'enseignement à la suite de leur baccalauréat en sciences. En ce qui concerne leur expérience en enseignement ou en recherche, environ 15% ont plus d'un an d'expérience. Au niveau des types de cours suivis, près de 30% d'entre eux ont suivi des cours de logique. Le pourcentage d'étudiants ayant suivi des cours en philosophie ou en histoire des sciences est inférieur à 5%. Au sujet des habitudes intellectuelles, les étudiants semblent avoir souvent (35%) 88 Louise Guilbert Tableau 3 Échantillon de futurs enseignants de sciences au secondaire et au collégial: Répartition en pourcentage des informations factuelles (n=105) SEXE féminin masculin 49,5 50,5 DERNIER DIPLÔME OBTENU DEC sciences pures 60,0 91,4 sciences de la santé 13,3 Maîtrise 3,8 sciences appliquées 25,7 Doctorat — sciences humaines 1,0 Autre 1,9 autres — BACC 2,9 DOMAINE DE FORMATION PLUS D'UN AN D'EXPÉRIENCE COURS DÉJÀ SUIVIS EN en enseignement 13 philosophie des sciences en recherche 18 logique histoire des sciences 4,8 28,6 3,8 FRÉQUENCE DE DISCUSSIONS AVEC DES CHERCHEURS jamais 5,8 quelquefois 59,0 souvent 35,2 FRÉQUENCE DE LECTURE articles de vulgarisation scientifique jamais 5,7 quelquefois souvent articles de revues scientifiques 56,2 38,1 jamais 6,7 quelquefois livres sur la philosophie des sciences 66,3 souvent 26,9 jamais 66,3 quelquefois 31,7 souvent 1,9 L'idée de science chez des enseignants en formation 89 des discussions avec des chercheurs. Le pourcentage d'étudiants indiquant qu'ils lisent souvent des articles de vulgarisation scientifique (38%) ou des revues scientifiques (27%) est plus élevé que pour la lecture de livres portant sur la philosophie des sciences puisqu'environ 70% d'entre eux affirment ne jamais en lire. 4. Devis expérimental L'administration du test a été faite lors du premier cours de didactique des sciences qui est un cours obligatoire. Après avoir précisé les objectifs visés par le projet de recherche ainsi que les avantages et inconvénients possibles, une formule de consentement a été signée par les étudiants acceptant de se soumettre au questionnaire. De manière générale, il n'y a qu'un étudiant ou deux par groupe de 50 répondants qui se sont prévalus de leur droit de ne pas participer. Les renseignements d'ordre factuel ainsi que les réponses aux items ont été lus par lecteur optique. Une période de 60 minutes a été accordée pour répondre au test. Après lecture des réponses, les données ont été conservées sur ruban magnétique pour un traitement statistique ultérieur. Un point a été accordé à la réponse jugée la meilleure selon les concepteurs du test et ceci sans correction négative. Résultats 1. Description et interprétation des résultats quantitatifs Résultats g l o b a u x Au TOUS modifié, les futurs enseignants ont obtenu un score total moyen de 63,0% (écart-type de 9,4) (Tableau 4). Les sections pour lesquelles les étudiants ont obtenu un score supérieur à la moyenne sont les sections concernant les méthodes et stratégies utilisées en science (70,2%), les scientifiques (66,1%) et les sociétés scientifiques (63,75%). Les sections où les étudiants ont obtenu un score inférieur à la moyenne sont les sections concernant les finalités (59,3%), la nature de la science (57,3%) et le contexte de la science (57,2%). Analyse d'items En ce qui concerne les indices de difficulté, leur répartition peut se lire comme suit: 5 items obtiennent un indice se situant entre 0 et 0,39; 17 items se situent entre 0,40 et 0,59; 19 items se retrouvent entre 0,60 et 0,79; 12 items obtiennent un indice se situant entre 0,80 et 1,00. Les indices minimal, maximal et moyen sont respectivement de 0,12 , 0,97 et 0,63. Il est important de noter ici que les résultats ne peuvent être comparés entièrement à ceux obtenus antérieurement 90 Louise Guilbert Tableau 4 Score moyen exprimé en pourcentage et écart-types obtenus au score total et par section au test TOUS modifié chez de futurs enseignants de sciences du secondaire et du collégial (n - 105) Moyenne Minimum Maximum Score total 63,0 39,2 82,4 9,4 Section 1 (Nature) 57,3 20,0 100,0 16,1 Section 2 (Sociétés se.) 63,7 16,7 100,0 19,7 Section 3 (Scientifiques) 66,1 30,0 100,0 14,1 Section 4 (Méthodes) 70,2 25,0 Section 5 (Finalités) 59,3 0 100,0 24,1 Section 6 (Contexte) 57,2 0 88,9 16,7 100.0 Écart-type 14,0 avec ce test. Cependant, à titre indicatif, il peut être intéressant de savoir que 1064 étudiants de 10e année et 753 élèves de 12e année ont obtenu respectivement une moyenne de 48% (écart type de 13) et 54% (écart type de 12) au test original (Cooley et Klopfer, 1960). La moyenne obtenue au score total par cet échantillon est à moins d'un écart-type de la moyenne au score total obtenue chez les élèves de 12e année. Cette différence minime entre ces deux groupes est similaire aux résultats retrouvés par Schmidt (1967). Analyse comparative Le test t de Student a été utilisé afin de vérifier l'influence possible de certaines variables sur les résultats obtenus: sexe, années d'expérience en enseignement ou en recherche, cours de logique, types de lecture, fréquence de discussions avec des chercheurs. La seule variable où une différence significative est retrouvée concerne l'expérience en recherche; en effet ceux qui n'ont aucune expérience en recherche obtiennent une moyenne de 55% contre 65% pour ceux ayant même une minime expérience en recherche et 70% pour ceux qui ont 3 L'idée de science chez des enseignants en formation 91 ans et plus d'expérience. Ces résultats diffèrent significativement (p < 0.0003). L'effet de l'expérience en recherche tient peut-être au fait qu'une telle expérience aide à mieux comprendre certains aspects de la science telles les méthodes et stratégies en science, les sociétés scientifiques et la communication scientifique ainsi que les caractéristiques, habiletés et formation des scientifiques. Les résultats plus faibles concernant la nature de la science et ses finalités pourraient s'expliquer par deux facteurs. Premièrement, de l'aveu même des étudiants, peu de temps est consacré à l'histoire des sciences et à son épistémologie tant au niveau de la formation universitaire qu'au niveau des lectures personnelles. Deuxièmement, il est possible que certains aspects de la science soient moins accessibles pour des étudiants, même spécialisés en science. En effet, les méthodes et stratégies utilisées en science, de même que les caractéristiques des scientifiques et la communication scientifique sont des éléments plus susceptibles d'être côtoyés et intériorisés par des étudiants tout au long de leurs études que des aspects comme la nature de la science ou ses finalités. Le grand nombre d'heures consacrées à la partie expérimentale en science, et les contacts avec des chercheurs et la lecture d'articles scientifiques (Tableau 1) pourraient expliquer les résultats observés en ce qui concerne les résultats plus élevés obtenus aux sections portant sur les méthodes et stratégies utilisées en science. En plus de l'analyse quantitative, une analyse qualitative des réponses a été faite en considérant le type de réponses choisies par un certain nombre d'étudiants. En effet, les "bonnes" réponses ou celles considérées comme les meilleures sont aussi indicatives de l'idée de science des étudiants que les réponses erronées ou réponses jugées moins valables. En plus des résultats relativement faibles à toutes les sections pour des bacheliers en sciences, quelques-unes de leurs réponses laissent songeurs, principalement en ce qui concerne certaines idées jugées inadéquates qui sont parfois partagées par un assez grand nombre de bacheliers en sciences. C'est l'analyse des réponses choisies par les étudiants qui sera donc décrite à la prochaine section. 2. Description qualitative et interprétation des choix de réponses Nature de la science La caractéristique internationale de la science semble bien comprise par 66 % (Question 52) à 75% (Q14) des étudiants, c'est-à-dire le fait que des scientifiques de plusieurs pays contribuent à la science. Presque tous les étudiants (92%, Q17) admettent que les principes et les idées des diverses 92 Louise Guilbert disciplines scientifiques sont reliés entre eux. Près de la moitié (47%, Q57) des étudiants semblent admettre que la science, par ses théories, permet le développement de nouvelles idées et de nouvelles façons de voir. Pour les étudiants, l'accumulation systématique de faits et de données constitue en soi des connaissances scientifiques (21%, Q15). Finalités de la science Selon les étudiants, les principaux rôles attribués à la science ou aux scientifiques résideraient en l'explication du monde physique (92%, Ql), l'accumulation systématique de faits et de données (31%, Q12) et la fabrication de produits améliorés pour un bien-être accru (25%, Q16). Par rapport aux rôles dévolus aux scientifiques, 28% (Q16) privilégient leur rôle conseil et les services à la collectivité aux dépens de la recherche d'une meilleure compréhension des phénomèmes naturels (42%, Q16). Scientifiques En ce qui concerne les attitudes scientifiques,8 70% (Q22) des étudiants croient qu'elles se manifestent indépendamment du type d'activités effectuées par les scientifiques, c'est-à-dire aussi hors du contexte de la recherche scientifique. Ces mêmes scientifiques seraient nés avec des aptitudes scientifiques spéciales (14%, Q42) ou seraient brillants à cause d'un entraînement spécialisé (25%, Q42); ils auraient une crédibilité dans un domaine hors de leur champ de compétence à cause de leur attitude scientifique (17%; Q60) pour aborder un problème. La moitié des étudiants (50%, Q44) reconnaissent que la créativité des chercheurs est un élément-clé de la production de connaissances bien avant l'obtention de grandes sommes d'argent; par contre, une autre question (Q18) pourrait indiquer qu'un certain nombre d'étudiants (26%) favorisent peu l'imagination du chercheur comme ingrédient essentiel d'une découverte. Plusieurs étudiants (20%, Ql 1) semblent croire que l'augmentation du conformisme et une baisse de créativité inciteraient les scientifiques à se conformer à des standards de plus en plus précis. Sociétés scientifiques La grande majorité des étudiants (92%, Q2) réalisent l'adhésion volontaire et non forcée des scientifiques à des sociétés reliées à leur spécialité; de plus, 84 % (Q8) des étudiants semblent penser que la principale fonction de ces sociétés est de promouvoir les échanges d'idées et de maintenir des standards professionnels. Au sujet du mode d'acceptation des théories par les sociétés scientifiques, il y a 84% (Q48) des étudiants qui croient qu'une théorie est acceptée ou rejetée sur la foi des observations et des preuves expérimentales L'idée de science chez des enseignants en formation 93 seulement et non à partir des idées personnelles et des croyances des scientifiques. De plus, 53% (Q49) des étudiants semblent croire qu'il existe des groupes d'experts sur les théories, c'est-à-dire des scientifiques qui auraient l'expertise nécessaire pour juger de la validité d'une théorie. Relations Sciences-Technologie-Société Comme il a été mentionné au niveau des finalités, les étudiants différencient mal les rôles de la science et de la technologie et confèrent aux scientifiques et, indirectement à la science, la fonction de faire des produits améliorés ou de fournir les moyens pour accéder à un bien-être accru, 15% (Q23) des bacheliers croient ainsi que faire le plan d'un téléviseur est un problème de science. La spécificité de la technologie tiendrait pour certains aux habiletés techniques requises (31%, Q23) et pour d'autres aux réponses qu'elle fournit à des problèmes de science (35%, Q55) ou encore à sa contribution dans l'organisation du travail expérimental (7%, Q41). Un peu plus de la moitié (58%, Q4) des étudiants croient que l'attitude de la population et du gouvernement d'un pays sur l'activité scientifique détermine l'appui donné aux scientifiques. Plusieurs étudiants (29%, Q4) croient que l'influence du gouvernement est grande parce que la majorité des scientifiques travaillent pour le gouvernement et doivent suivre ses instructions. Seuls quelques étudiants (10%, Q4) croient que l'activité scientifique est très peu influencée par la population et le gouvernement d'un pays, les scientifiques étant assez isolés du reste de la société. M é t h o d e s et stratégies En ce qui concerne le mode de production d'une connaissance scientifique, 44% (Q10) des étudiants croient que les explications en science sont basées sur des données et des observations vérifiées et non sur des lois et des principes scientifiques acceptés. Près des trois quarts (72%, Q51) des étudiants pensent toutefois que des observations apparemment objectives sont en réalité des interprétations de ce que l'on voit, alors que 14% (Q51) des étudiants semblent croire qu'une bonne observation est objective et libre de toute subjectivité. L'apprentissage de la minutie dans la notation des observations en laboratoire permettrait, selon 24%(Q58) des étudiants, l'apprentissage de relations causales. Pour un petit nombre d'étudiants (16%, Q7), certains instruments, tel le microscope, permettraient d'examiner de plus près des relations de cause à effet. Dans la lignée de l'exemple maintes fois cité de la découverte de la pénicilline, plusieurs croient (34%, Q39) que la plupart des découvertes scientifiques résultent de l'interaction entre l'observation fortuite d'un nouveau 94 Louise Guilbert phénomème et un esprit alerte. Cette vision semble aussi fonder l'idée que les théories et les hypothèses ne sont pas la source du processus de production du savoir: 12% (Q26) des étudiants croient qu'un chercheur ne fait pas d'hypothèse avant d'expérimenter et seulement 37% (Q21) croient que la théorisation stimule la recherche. Il semble que la production de connaissances se fasse principalement par essai et erreur (12%, Q50), ce qui appuie l'autre affirmation (42%) que cela nécessite beaucoup d'argent (Q44). Cependant, une grande majorité (69%, Q15) des étudiants semblent reconnaître que les données et les idées du passé contribuent à la connaissance scientifique actuelle; la technique "essai et erreur" ou de grandes sommes d'argent ne seraient donc pas les seuls ingrédients nécessaires à la production de connaissances scientifiques. Pour 21% (Q58) des étudiants, les théories peuvent être déduites à partir des expériences (en accord avec plusieurs énoncés où tout semble basé sur les observations). En ce qui concerne leur rôle, 37% (Q21) seulement le définissent en termes de "stimulation de la recherche" mais 20% (Q57) pensent qu'elles font progresser la pensée vers la connaissance de la vérité absolue; à cet effet, 46% (Q21) croient qu'il faut beaucoup de temps pour prouver qu'une théorie est réellement vraie. Le tiers des étudiants (32%, Q57) pensent que lorsqu'un scientifique a développé une théorie, il est possible de dire qu'il a découvert de nouvelles preuves expérimentales, comme si la théorie ne serait pas une construction intellectuelle mais bien un donné de la nature même. Pour près de 36% des étudiants, les processus de changement de paradigmes ou de théories semblent difficiles à comprendre: lorsque certains faits scientifiques ne sont pas expliqués par une théorie existante, 14% (Q45) des étudiants pensent que les scientifiques doivent démontrer que la théorie est fausse dans tous les cas; 12% croient qu'elle doit être rejetée immédiatement et 10% vont même jusqu'à dire que les scientifiques doivent réviser les faits non expliqués de façon à ce qu'ils puissent entrer dans la théorie. 3. Synthèse Nous tenterons dans les quelques lignes qui suivent de synthétiser la vision que certains étudiants semblent avoir de la science. Cette reconstruction de leur idée de science perd de vue certaines précisions comme les pourcentages, mais elle devrait gagner en cohérence et en pouvoir explicatif. Ces deux éléments devront être pris en compte afin de mieux interpréter la synthèse qui suit. Un réseau conceptuel, résumant les principales interrelations entre ces représentations sur la science, est décrit à la Figure 1; on y retrouve le pourcentage d'étudiants ayant fait un tel choix de réponses. Réalité (interprétation Expliquer (92 %) Observations nécessite beaucoup e d'argent (42 %) (72 ~%) bonnes = objectives (14 %)) jj Çchance (34 % ) ) (essais et erreurs (13 %) ) credibles dans d'autres domaines (17 %) S c i e n t i f i q u e s {créatifs (42 %)) | l tt scientifiques faï ï iîttu d e s en tout temps (70 %) { e x p l i c a t i o n s en soi (44 a. %)) connaisances scientifiques e n soi (21 %) 5 I ( s a n s idées personnelles (84 % ) ) des produits ^améliorés ( 1 8 - 2 5 > (déduction (21 % ) ) ^comité^expertT75^%^^ Théories p C Vf progression vers laA érité absolue (20 - Î O Q 3 O 3î àes (47 %)) nouvelles idées nouvelles preuves A ^expérimentales (32 % y Figure 1. Réseau conceptuel de l'idée de science chez de futurs enseignants de sciences. V O Ui 96 Louise Guilbert Pour environ un tiers (20 à 40%) des étudiants, la finalité de la science tient en la collecte généralisée de faits et de données recueillis par essai et erreur, voire fortuitement; ce mode aléatoire de collecte de données va aussi de pair avec l'opinion qui veut que cela coûte forcément beaucoup d'argent. Par ailleurs, pour plusieurs, ces données semblent être porteuses en soi d'une signification ou d'une explication, telle une relation causale; les données étant déjà intrinsèquement signifiantes pour plusieurs, l'objectivité devient par le fait même une caractéristique nécessaire en tout temps aux scientifiques pour leur cueillette. En ce qui concerne l'objectivité des observations, la grande majorité des étudiants perçoivent que les observations sont en réalité des interprétations de ce que les scientifiques voient. Au premier abord, cela peut paraître contradictoire mais si on considère leur croyance en une attitude scientifique universelle, ne serait-il pas possible qu'ils croient que les interprétations soient des interprétations 'objectives' à cause des attitudes scientifiques des personnes en science? Le mythe des faits semble omniprésent chez les futurs enseignants; leur collecte généralisée serait à la fois la base, le moyen, le processus privilégié et la finalité de la science. Les scientifiques ne feraient que transmettre d'une manière tout à fait neutre, à cause de leurs attitudes scientifiques, ces observations sous forme de théories qui, en se succédant, se rapprocheraient de la réalité objective du monde physique puisqu'elles en seraient directement issues. Le mythe des faits englobe même les théories puisque celles-ci sont déduites des faits, ne sont acceptées que sur la base d'observations dénuées de toute attache théorique personnelle et constituent en elles-mêmes des preuves expérimentales. Cette vision semble typique de l'empirisme tel que le définit Chalmers (1988). Le fait que les étudiants croient que la technologie peut en soi donner des réponses à des problèmes de science semble aussi cohérent avec leur idée de science, compte tenu que la technologie permet la recherche de données qui, pour les étudiants, sont déjà des explications. Il semble que les étudiants soient partagés entre les finalités fondamentales de la science qui seraient d'expliquer ou de faire comprendre des phénomènes naturels et les rôles conséquents de la science ou son influence sur la société comme des services et avis à la société, la fabrication de produits améliorés pour un bien-être accru et le design d'objets techniques. La distinction entre la science et la technologie semble mal comprise. De plus, le rôle-conseil joué par les scientifiques, à la suite du développement de notre compréhension du monde physique, semble pour eux, une finalité en soi et non une conséquence logique du développement de leur expertise. Le rôle prépondérant accordé à l'avis des L'idée de science chez des enseignants en formation 97 scientifiques, au pouvoir de la technologie face à l'accroissement du bien-être et à l'influence de la science sur la société représente une forme de scientisme correspondant à la vision présentée par Lévy-Leblond et Jaubert, (1975). Il est intéressant de constater que le moyen utilisé en science dans le développement du savoir, c'est-à-dire la collecte systématique de faits ou de données, soit confondu par certains étudiants avec la finalité visée. En résumé, même si certaines croyances se retrouvent chez quelques d'étudiants, elles semblent difficilement acceptables pour des bacheliers en sciences qui auront, après l'année de formation en pédagogie, à former toute une génération de jeunes à une meilleure compréhension de la science et à ses interrelations avec la technologie et la société. Discussion Compte tenu des problèmes conceptuels et des problèmes de mesure cités précédemment, il est difficile de qualifier l'idée de science des enseignants en formation et forcément de comparer avec d'autres recherches similaires. Malgré toutes ces limites, il semble important de tenter une comparaison avec les résultats retrouvés dans la littérature scientifique. 1. Qualification de l'idée de science des enseignants en formation Afin de tenter de quantifier la proportion d'individus semblant adhérer à une idée de science typique de l'empirisme, la moyenne des résultats obtenus à 12 questions jugées comme étant typiques de l'empirisme par l'équipe de recherche a été calculée (Tableau 5); une moyenne de 39% a été obtenue. Par contre, les pourcentages obtenus à ces questions varient beaucoup (de 14% à 84%) selon l'aspect traité. Par rapport au constructivisme, si on fait la moyenne des résultats à 7 questions jugées typiques par l'équipe de recherche, une moyenne de 53% est obtenue. Le résultat le plus faible est de 12% tandis que le résultat le plus élevé est de 74%. La quantification de la proportion d'individus adhérant à une idée de science a été tentée en utilisant une question (Q57) traitant du rôle des théories. De plus, cette question, avec un indice ULI9 de 0,667, est la plus discriminante du test, c'est-à-dire qu'elle est très représentative des résultats obtenus au score total. Cette question, portant sur le rôle des théories, permet de voir si les étudiants les considèrent comme: de nouvelles idées et de nouvelles façons d'aborder la réalité (constructivisme: 47%), de nouvelles preuves expérimentales (empirisme: 32%) ou comme la progression vers la vérité absolue ou la découverte d'une des lois de la nature (réalisme: 21%). Tableau 5 Qualification de l'idée de science chez de futurs enseignants de sciences (n=105). à partir des choix de réponses jugées typiques de l'empirisme ou du constructivisme Empirisme Réponses D A C A C B+C D D B C+D A+D A Questions # 10 11 12 15 21 22 39 48 51 57 58 60 Pourcentage 44 20 31 21 46 65 34 84** 14* 52 45 17 26 Empirisme pur 12* 74** 72 47 16 74 x X Pourcentage 69 37 63 x=53 x 84 26 Constructivisme Réponses B A B C C D A n=7 x=39 n=12 ** maximum * minimum < < < Question # 15 21 45 48 50 51 57 58 Mixité (empirisme + constructivisme) x 16 Constructivisme "pur" O C £ C 0 ÇÊ 1 » L'idée de science chez des enseignants en formation 99 Il semble qu'environ 40% des futurs enseignants aient une idée de science s'apparentant à l'empirisme et un peu plus de la moitié de ces enseignants auraient une idée de science s'apparentant au constructivisme. Cependant, les grands écarts entre les minima et maxima selon les types de questions (70% pour l'empirisme et 62% pour le constructivisme) sont difficilement explicables; une hypothèse pourrait être avancée pour expliquer ces écarts: la mixité de l'idée de science des futurs enseignants, par exemple l'appartenance tantôt à l'idéologie empiriste tantôt à l'idéologie constructiviste selon les concepts investigués. Une façon d'évaluer cette mixité serait de considérer les maxima obtenus, premièrement pour une réponse typique de l'empirisme (84%) et du constructivisme (74%), et deuxièmement de calculer quel serait le pourcentage commun (mixte) qui pourrait expliquer ces résultats. En effectuant ces calculs (Tableau 5), il est possible qu'environ 26% (84 - 58) et 16% (74 58) des étudiants soient respectivement empiristes ou constructivistes de façon assez généralisée, pour plusieurs facettes de la science, tandis qu'environ 58% des étudiants auraient une vision mixte, tantôt empiriste, tantôt constructiviste selon les facettes investiguées. En résumé, moins du quart des étudiants semblent avoir une vision assez typique de l'empirisme ou du constructivisme tandis qu'environ la moitié des étudiants auraient une idée de science mixte, c'est-à-dire appartenant à la fois à plus d'une vision de la science. 2. Comparaison avec d'autres recherches En ce qui concerne la mixité de l'idée de science retrouvée chez un même individu selon les concepts abordés, d'autres recherches montrent aussi cette tendance, une adhésion à des positions philosophiques différentes: 18% des futurs enseignants (Aguirre et al., 1989); 50% des enseignants du secondaire et 66% des enseignants du collégial (Elghordaf, 1985); la majorité des étudiants universitaires inscrits en sciences (Rowell et Cawthron, 1982) ou dans un cours d'introduction à la biologie (Edmondson, 1989). Rowell et Cawthron (1982) ont aussi investigué à l'aide d'un questionnaire l'idée de science chez 300 étudiants et professeurs de deux universités australiennes; il semble que la majorité aient une vision mixte de la science ralliant une vision traditionnelle empiricoinductiviste et une vision près du rationalisme critique de Popper. Ogunniyi (1982) retrouve aussi chez de futurs enseignants de sciences une vision positiviste près de la philosophie de Hempel; la majorité pense que les lois et les théories sont des assertions vraies et vérifiables. Leur vision est aussi teintée de technologisme; en effet, 79% d'entre eux croient que le premier 100 Louise Guilbert objectif des sciences est d'améliorer le bien-être des humains. Edmondson (1989) a interrogé, à l'aide d'un questionnaire présentant deux points de vue opposés (le positivisme logique et le constructivisme), 559 étudiants de première et deuxième années d'un collège américain. D'après ses résultats, la majorité des réponses se situent à mi-chemin entre les deux positions épistémologiques. Malgré une certaine préférence pour le positivisme logique, la majorité des étudiants adhèrent à des positions épistémologiques qui sont une combinaison de croyances conflictuelles concernant leur conception du savoir scientifique. Il semble donc y avoir de nombreux points de convergence entre les résultats retrouvés dans cette recherche et ceux de recherches similaires: la présence de tendances empiriste ou constructiviste dans une même population; la présence simultanée d'une mixité des visions chez un même individu et la prédominance de la mixité des visions par rapport aux visions uniques. 3. Interprétation Si on considère la formation académique de la population investiguée, la majorité ayant un baccalauréat spécialisé en sciences, il peut sembler étonnant au premier abord de constater que possiblement le quart des étudiants semblent adhérer encore à une vision empiriste pure de la science, vision rejetée majoritairement, sinon par tous les épistémologues contemporains. En y regardant de plus près, ces résultats étonnent moins car, de l'aveu même des étudiants, très peu d'entre eux ont suivi des cours en philosophie des sciences. Il semble plutôt qu'une vision empiriste de la science soit transmise explicitement et implicitement par les enseignements reçus. Il est même surprenant qu'environ le sixième des étudiants semblent avoir une idée de science s'apparentant au constructivisme pur ou encore qu'un peu plus de la moitié d'entre eux aient une vision hybride empirico-constructiviste de la science. Certains étudiants semblent partagés entre les enseignements formels ou informels reçus sur la nature de la science, ses finalités, son fonctionnement, ses limites d'une part et, d'autre part, leur nouvelle vision résultant de leur expérience personnelle. Cette dernière a pu s'acquérir au contact de chercheurs, par la lecture d'informations portant sur des sujets d'actualité, de revues scientifiques ou de documents historiques et finalement par une prise de conscience des relations mutuelles entre la science, la technologie et la société. Les politiques gouvernementales, concernant la promotion et le soutien à la recherche (Gouvernement du Québec, 1979; CRSNG, 1989; CRSH, 1990; L'idée de science chez des enseignants en formation 101 Conseil de la science et de la Technologie, 1991), ainsi que les débats publics, quant aux rôles de la recherche et des scientifiques (Labonté, 1990) face au développement économique, ne seraient peut-être pas étrangers à l'idée de science actuelle des futurs enseignants. Au niveau gouvernemental, il semble exister depuis plusieurs années des dichotomies abusives dans les définitions de recherche fondamentale versus recherche appliquée versus recherche et développement. Il serait pertinent de scruter de façon systématique cette hypothèse, c'est-à-dire l'influence des médias, y compris les politiques gouvernementales, dans la genèse de l'idée de science des futurs enseignants mais aussi des intervenants en enseignement supérieur. Conclusion Compte tenu de l'importance grandissante accordée au développement des connaissances des élèves concernant l'histoire et la philosophie des sciences, le test TOUS modifié et validé a été utilisé afin de mesurer la compréhension de futurs enseignants du secondaire et du collégial sur la nature, les finalités, les méthodes et le contexte d'actualisation de la science par les scientifiques. Globalement, malgré les limites méthodologiques et conceptuelles inhérentes à tout mode de recherche, il semble que la compréhension des méthodes utilisées en science soit significativement meilleure que la compréhension des finalités ou de la nature de la science. Les résultats obtenus au score total (63%) sont relativement faibles pour des bacheliers et ne semblent être influencés que par une seule variable, c'est-à-dire l'expérience en recherche. L'analyse qualitative suggère que les futurs enseignants attachent une importance démesurée à la collecte de données en science comme mode de production d'un savoir; en effet, la collecte de données serait une des finalités de la science et constituerait déjà, en soi, des connaissances scientifiques. En ce qui concerne les visions de la science retrouvées chez ces futurs enseignants, la tendance empiriste pure serait un peu plus présente que la tendance constructiviste. Il semble cependant évident que pour près de la moitié des étudiants, une vision hybride empirico-constructiviste se manifeste selon les facettes traitées. Cette mixité des visions pourrait s'expliquer si les étudiants étaient en changement conceptuel concernant leur idée de science. Il est évident que cette diversité peut résulter d'une simple confusion; cependant, les premiers résultats issus des entrevues auprès de ce même échantillon, ainsi que des discussions informelles lors des cours, laissent supposer que les étudiants essaient de se construire un modèle de science qui serait cohérent avec ce qu'ils ont entendu dans leurs cours de sciences et ce qu'ils ont vécu dans leur courte 102 Louise Guilbert expérience de travail expérimental ou de recherche. Il semble exister un chaînon manquant leur permettant d'établir la cohérence de leur modèle, peut-être un manque de recul historique face à la construction du savoir scientifique. Globalement, ces premiers indices semblent plus compatibles avec un changement conceptuel qu'avec une simple confusion et mériteraient une investigation plus poussée. Il serait intéressant de questionner davantage le rôle des contacts avec des gens en recherche ou encore de la recherche elle-même sur ces changements conceptuels. La prise de conscience par les futurs enseignants de leur idée de science demeure d'une importance capitale. En effet, si on considère les visions empiriste et même scientiste pouvant être développées par les élèves tout au long du cursus scolaire et si le rapport des élèves face au savoir scientifique et aux 'experts' risque d'être modifié par les enseignements formels et informels de leurs enseignants de science, l'analyse de l'idée de science devient donc un enjeu social de taille compte tenu du droit de décision laissé aux simples citoyens dans une société qui se veut réellement démocratique. Le rapport au savoir, par le biais d'une nouvelle vision de la science, deviendrait donc essentiel à l'équilibre des pouvoirs dans la société et devrait être pris en considération dans toute formation en enseignement supérieur et non seulement chez les futurs enseignants ou ceux qui se destinent à une carrière scientifique. Notes ^ Ici le terme "qualitatif' doit être compris dans un sens large et non restrictif. Nous reconnaissons que ce type d'analyse ne s'inspire pas en totalité de l'approche qualitative; cependant, ce terme est utilisé pour signifier que c'est le sens possiblement attribué par le choix ou non d'un item qui nous intéresse et non seulement une simple addition des bonnes réponses. 2 Nous reconnaissons la complexité qu'implique la tentative même de mesurer ce construit théorique qu'est la pensée critique en science. Cette vision atomiste est forcément réductrice de la réalité; sa subdivision en composantes "mesurables" ne vise qu'à en éclairer un tant soit peu notre compréhension. Nous référons le lecteur à l'article consacré à ce sujet (Guilbert, 1990) pour un meilleur aperçu. ^ Nous sommes consciente que ce bref aperçu ne peut à lui seul donner une idée exacte de la vision constructiviste à laquelle nous adhérons; nous référons le lecteur aux auteurs cités pour une description plus détaillée de cette idée de science. ^ Même si les termes 'falsifier et réfuter' non pas exactement le même sens, le terme falsificationisme d'origine anglophone est maintenant utilisé et accepté comme équivalent du terme "réfutationisme" dans la langue française. Nous référons le lecteur L'idée de science chez des enseignants en formation 103 au livre de A.F. Chalmers (1987)"Qu'est-ce que la science?" traduit par Michel Biezunski, Editions la Découverte, Paris. ^ Ce test, déjà traduit en langue française, a été utilisé avec la permission des auteurs Cooley et Klopfer. 6 11 p e u t s e m b l e r é t o n n a n t q u e m a l g r é n o t r e a p p a r t e n a n c e à l ' i d é o l o g i e constructiviste, nous ayons utilisé un test ainsi que des outils statistiques utilisés par les tenants d'une approche dite traditionnelle. A notre avis, ce ne sont pas les outils en soi qui dictent notre appartenance idéologique mais bien les présupposés sous-jacents au choix de ses instruments ainsi que les limites et l'influence que nous voulons bien leur reconnaître dans l'interprétation des résultats. Compte tenu des limites inhérentes à toute approche méthodologique, tant qualitative que quantitative, nous avons opté pour une approche quantitative (le TOUS modifié) et qualitative (entrevues) (Article en préparation) dans notre investigation de l'idée de science chez les enseignants en formation. Nous réalisons les limites et l'intersubjectivité de toute connaissance scientifique. Malgré ces limites, nous croyons que les deux approches utilisées peuvent nous aider à tracer un portrait, quoiqu'imparfait, des tendances retrouvées chez le groupe d'étudiants investigués. Deux indices devraient nous permettre d'accroître la validité de nos interprétations: (1) des zones de recouvrement où les données recueillies par ces deux approches démontrent une certaine similitude; (2) la possibilité de constater des similitudes entre nos résultats et ceux retrouvés dans la littérature. Le sens accordé à "validité" est similaire au sens de "trustworthiness" de Guba , E. G. (1981). Criteria for assessing the trustworthiness of naturalistic inquiries. Educational Communication and Technology, 29 (2), pp. 75-91. ^ Les juges n'ont pas été retenus en fonction de leur appartenance particulière à une vision dite empiriste ou constructiviste de la science. Ils étaient tous dans le domaine de la didactique des sciences. 8 Ce concept est encore fortement contesté par certains, entre autres, Gauld (1982, Science Education 66 (1), pp. 109-121) parce que: (1) ces attitudes ne semblent pas l'apanage exclusif des scientifiques; (2) par le fait que plusieurs scientifiques de renom ne démontraient aucunement ces attitudes et (3) le concept même d'attitude n'étant pas caractérisé pour certains par les comportements mais plutôt par l'opinion. Malgré cette controverse, nous avons retenu ce concept car ce n'était pas le fait que les scientifiques aient ou non ces attitudes qui nous intéressait, mais bien de savoir si les répondants au questionnaire croyaient que les scientifiques démontraient ou non ces attitudes en tout temps. ^ "Cet indice est une mesure de discrimination. Son calcul est basé sur le rapport entre le nombre de sujets parmi les 27% plus forts à l'examen qui ont réussi l'item et le nombre qui l'ont réussi parmi les 27% plus faibles". Bujold, N., & Parent, L. (1987). La correction d'examens par ordinateur. Québec: Université Laval, p.35. 104 Louise Guilbert Références AAAS (American Association for the Advancement of Science). (1989). Science for ail Americans: Project 2061. Washington, D.C. Abell, S.K., & Smith, D.C. (1992). What is science? Preservice elementary teachers' conceptions of the nature of science. In S. Hills (Ed.), The history and philosophy of science in science education. 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