The Canadian Journal of Higher Education, Vol. XVI-1, 1986 La revue canadienne d'enseignement supérieur, Vol. XVI-1, 1986 De la situation particulière des professeurs d'administration en contexte universitaire BRUNO FABI et RÉAL JACOB* RÉSUMÉ La présente analyse concerne un groupe vivant une situation particulière à l'intérieur du corps professoral universitaire: les professeurs d'administration ou de gestion. La pénurie de ressources doctorales, l'affluence de la clientèle étudiante, les sollicitations de services à la collectivité que l'Université fournit au milieu socio-économique constituent des caractéristiques du vécu professionnel du professeur d'administration. S'ajoutent à cela les exigences de l'appareil universitaire en termes de recherche et d'administration pédagogique, exigences qui ne sont pas nécessairement compatibles avec les caractéristiques particulières des nombreuses disciplines constituant une unité d'appartenance en administration . Devant ces multiples, et souvent incompatibles sollicitations, on assiste à une forme de polarisation autour des pôles vocationnel ou académique, polarisation qui provoque chez certains professeurs un sentiment d'iniquité face à des politiques de gestion qui ne semblent pas tenir compte des particularités de ce groupe de professeurs. Certains des éléments caractérisant la situation de ces derniers peuvent probablement s'appliquer, à différents degrés, à d'autres groupes du corps professoral universitaire notamment ceux oeuvant dans des disciplines à vocation professionnelle comme l'ingénierie, l'informatique ou la médecine. On suggère en tout cas que /'hétérogénéité du corps professoral universitaire se prête mal à des politiques de gestion uniformes qui risquent de maintenir certains dysfonctionnements actuellement observables dans les milieux universitaires. ABSTRACT This analysis concerns a group living a peculiar experience within the ranks of university professors: the business faculty members. The lack of Ph.D., in contrast with the ever-increasing number of students and the solicitations from the socio-economic environment for community services, creates omnipresent pressures in the daily life of business professors. To these are added the imperatives of academic in terms of research and program administration, imperatives which are * Professeurs, Département d'administration et d'économique, Université du Québec à TroisRivières, Case postale 500, Trois-Rivières (Québec) G9A 5H7 88 Bruno Fabi et Réal Jacob not necessarily compatible with the particularities of the numerous disciplines constituting a business faculty. According to these multiple and often-conflicting solicitations, we can notice a form of polarisation around academic and vocational poles. This has provoked a sense of inequity for some professors concerning management policies which appear inappropriate to the peculiar requirements of their situation. Some of the problems affecting the business faculty members may also be found, to a certain extent, in other faculties notably those in vocational fields like engineering, computer science and medecine. The authors suggest that it would be ill-advised to impose homogeneous management policies to all the university professors that they consider to be a quite heterogeneous group of professionnals. Les universités canadiennes, au même titre que les autres organisations dépendant totalement ou en partie des fonds publics, traversent actuellement des périodes difficiles. En plus de subir de sévères coupures budgétaires résultant entre autres de la cure d'amaigrissement des appareils étatiques, elles font actuellement l'objet de critiques provenant de divers milieux socio-économiques. Récemment, une analyse particulièrement incisive a attiré l'attention de l'opinion publique canadienne. Formulée par trois membres du corps professoral universitaire (Bercuson, Bothwell et Granatstein, 1984), cette analyse remettait sévèrement en question plusieurs facettes du fonctionnement universitaire actuel: le mode de financement per capita, l'accessibilité excessive aux études universitaires, le laxisme au niveau de l'évaluation des étudiants, la qualité décroissante des programmes, la syndicalisation des professeurs et les conséquences négatives de la permanence sur leur rendement. Malgré la vivacité et l'indignation des réactions qu'elle a soulevées (Savage, 1984), on ne saurait nier entièrement la pertinence de certaines de leurs observations. Ces auteurs ont le mérite d'avoir atteint leur objectif, à savoir sensibiliser la communauté universitaire et les agents socio-économiques aux problèmes et aux solutions susceptibles d'améliorer la qualité du réseau universitaire canadien. On doit cependant relever, à la suite de quelques autres (Axelrod, 1984; Hiller, 1984; Sack, 1984), l'absence de nuances qui caractérise plusieurs passages de l'ouvrage de Bercuson et al. (1984). Après avoir admis leur omission concernant l'analyse des difficultés dans les écoles de gestion et dans d'autres secteurs d'études de premier cycle, ils en arrivent tout de même à formuler le commentaire suivant: «... un fort pourcentage de professeurs dans les écoles de gestion et de droit canadiennes ne font pratiquement pas de recherche et de publication, mais sont tout de même mieux payés que leurs collègues d'autres disciplines » (p. 156). Un tel commentaire reflète malheureusement la méconnaissance de la communauté universitaire à l'égard des facultés professionnelles, notamment celles en administration ou en gestion. Ce genre de perception simpliste mériterait d'être complété par des informations relatives à l'appartenance disciplinaire, à l'hétéro- 89 De la situation particulière des professeurs d'administration en contexte universitaire généité et la multidisciplinarité de ces facultés, à l'affluence de la clientèle étudiante, aux sollicitations de services à la collectivité ou aux problèmes d'offre et de demande doctorale. De telles considérations permettraient de circonscrire plus sérieusement la situation des professeurs d'administration dans l'ensemble du corps professoral universitaire. Car il se trouve que ces professeurs rencontrent effectivement des difficultés particulières dans le cadre de leur carrière universitaire, difficultés qui sont souvent mal connues aussi bien par leurs collègues, et leurs associations syndicales, que par les administrateurs universitaires. Il en résulte souvent, dans la communauté universitaire, une perception erronnée de la contribution réelle de ces professeurs ainsi que le maintien de certaines pratiques de gestion tenant peu compte de la diversité des départements universitaires, ceux d'administration en particulier. Pénurie de ressources professorales Le professeur d'administration ou de gestion constitue en effet une denrée relativement rare sur le marché de la main-d'oeuvre spécialisée: certains départments, facultés ou écoles d'administration sont actuellement confrontés à un problème de recrutement étant donné le nombre restreint de docteurs en sciences administratives sortant des universités canadiennes. Des statistiques récentes démontrent en effet que les 83 diplômés de 3ième cycle en administration ne représentent que 2,26% des 3 669 doctorats décernés en sciences sociales et 0,69% de l'ensemble des 11 955 doctorats canadiens décernés au cours de la période allant de 1970 à 1982 (Von Zur-Muehlen, 1984). Une analyse moins récente de la situation américaine révèle un problème identique, leurs statistiques s'avérant toutefois un peu moins alarmantes que les nôtres: les doctorats en gestion représentaient 2,1% de l'ensemble des doctorats américains en 1966, cette proportion s'établissant à 2,7% en 1978 (Thoenig, 1981). Cette faiblesse de l'offre, associée à une forte demande pour des professeurs de gestion, semble constituer un phénomène encore très présent aussi bien sur la scène canadienne (Von Zur-Muehlen, 1984) que sur la scène américaine (Daniels et al., 1984). Cette pénurie, qui se décèle facilement à la consultation des nombreuses offres d'emplois dans les publications s'adressant à la communauté universitaire canadienne, prend une ampleur suffisante pour retenir l'attention de certains cadres supérieurs de grandes entreprises privées qui, à l'exemple du président de Northern Telecom (Light, 1984), s'inquiètent devant les 100 postes vacants de professeurs en ingénierie et les 200 en administration relevés dans le réseau universitaire canadien. Une telle situation conduit presque inévitablement à des pratiques comme le financement institutionnel des études doctorales pour des candidats particulièrement doués, le recrutement de professeurs étrangers ou tout simplement la «piraterie» de professeurs établis dans des institutions rivales. Ces pratiques risquent de devoir être maintenues si l'on se fie aux prévisions actuellement 90 Bruno Fabi et Réal Jacob disponibles: de 1983 à 1987, sur les 613 doctorats en sciences sociales et les 1 421 doctorats canadiens qui seront décernés dans l'ensemble.des disciplines universitaires, on anticipe une diplômation annuelle de 22 docteurs en administration, ce qui représentera respectivement 3,6% et 1,5% des doctorats décernés (Von Zur-Muehlen, 1984). Bien que l'on puisse envisager, exceptionnellement, le recrutement de détenteurs de maîtrise ayant une bonne expérience de la gestion, l'offre risque de demeurer nettement plus faible que la demande, particulièrement dans les fonctions traditionnelles du management comme la finance, la comptabilité, le marketing et la production. Les universités canadiennes continueront donc probablement à maintenir des postes ouverts, non comblés, dans leurs départements d'administration, alors qu'elles fermeront des postes laissés vacants par le décès, la retraite ou le départ de certains professeurs dans des départements où l'offre doctorale s'avère pourtant assez forte ... L'expérience nous apprend par ailleurs que l'on observera deux types de roulement chez ces nouveaux professeurs de gestion: certains passeront d'une université à une autre alors que d'autres quitteront le milieu universitaire pour occuper des postes souvent plus rémunérateurs, plus valorisants, au niveau des différentes fonctions du management dans des organisations privées, publiques et para-publiques (Daniels et al., 1984). Ces sollicitations des milieux organisationnels incitent d'ailleurs certains étudiants de 3ième cycle en administration à faire immédiatement le saut dans la pratique ou la consultation avant même d'avoir finalisé leur thèse de doctorat. En définitive, ces étudiants constituent non seulement une clientèle relativement peu nombreuse, mais également une clientèle moins captive du marché du travail académique que ne le sont les docteurs dans plusieurs autres disciplines universitaires. Affluence de la clientèle étudiante Le problème précédent n'aurait pas les mêmes dimensions s'il n'était pas concomitant à un autre phénomène conjoncturel qui incite les étudiants à s'orienter massivement vers les programmes à vocation professionnelle offrant les meilleures possibilités d'emploi comme l'ingénierie, l'informatique et l'administration (Ministère de la main-d'oeuvre et de la Sécurité du revenu, 1984; Conseil de Universités, 1984). En fait, cette affluence de la clientèle étudiante vers les facultés d'administration, aux prises avec des difficultés de recrutement de professeurs, provoque inévitablement des déséquilibres importants dans le réseau universitaire canadien: on rapporte en effet des ratios étudiants/professeur de 37,1 en administration, 18,7 en ingénierie et 18,3 en droit, comparativement à 14,2 pour l'ensemble des disciplines (Von Zur-Muehlen, 1984). C'est d'ailleurs ce qui amenait récemment le président de l'Association des Sciences Administratives du Canada (A.S.A.C.) à attirer l'attention de la communauté universitaire sur une situation où typiquement 15% de l'ensemble des étudiants sont desservis par 6% des professeurs et 4% des budgets de l'université (Hall, 1984). Ce déséquilibre entre la clientèle et les ressources attribuées aux facultés d'administration atteint 91 De la situation particulière des professeurs d'administration en contexte universitaire parfois des proportions nettement plus inquiétantes, notamment dans certaines universités québécoises où le nombre d'étudiants en administration constitue jusqu'à 30% de la clientèle universitaire totale. Des statistiques récentes révèlent par exemple que l'ensemble des départements d'administration du réseau de l'Université du Québec regroupaient, en 1983-84, 18,472 étudiants soit 26% de la clientèle totale (Université du Québec, 1984). Le rattrapage en administration des affaires, effectué par la collectivité québécoise au cours des dernières décennies, explique probablement l'accentuation de ce déséquilibre par rapport à celui observé dans les universités de certaines provinces anglophones. Un tel déséquilibre ne se répercute pas uniquement au niveau des ratios élevés en termes d'étudiants/professeur, mais il implique également des responsabilités relatives à l'encadrement des nombreux chargés d'enseignement à qui l'on doit recourir pour assumer les demandes de cours dépassant largement les capacités d'enseignement des professeurs réguliers. Cet encadrement implique l'élaboration des syllabus de cours, du matériel pédagogique, des contenus, ainsi que la supervision1 des stratégies pédagogiques et des modes d'évaluation. Sollicitations de services à la collectivité La particularité de la situation du professeur universitaire en administration ne s'arrête pas là. Nous connaissons tous trop bien la difficile situation des finances publiques canadienne et québécoise ainsi que ses répercussions sous forme de contraintes budgétaires imposées au secteur de l'éducation, les universités en particulier. Cette conjoncture économique a impliqué d'autres conséquences, possiblement moins bien connues du grand public et de certains professeurs oeuvrant dans des facultés moins directement concernées par les problèmes de relance économique et de virage technologique. Les pressions de l'environnement externe ont en effet sensibilisé les autorités universitaires à l'impact que leur image sociale pouvait avoir sur les politiques gouvernementales les affectant. Une étude pan-canadienne récente révèle en effet que cette réputation institutionnelle constitue la préoccupation primordiale des cadres supérieurs (Konrad et McNeal, 1984). C'est ainsi qu'on insiste depuis peu sur la responsabilité sociale des universités qui doivent, affirme-t-on dans le discours de plusieurs dirigeants universitaires, s'impliquer davantage au niveau des collectivités qui les supportent afin que ces collectivités puissent profiter au maximum de l'expertise des ressources professorales (Conseil des Universités du Québec, 1984). L'observation démontre cependant assez clairement que la prise en charge opérationnelle de cet interface, de cette collaboration université-milieu, a été largement assumée, entre autres, par les facultés d'administration à travers les interventions de professeurs dans différents forums tels les conseils d'administration, sommets économiques, chambres de commerce ainsi que les autres organismes de développement industriel et commercial. On ne compte plus par ailleurs les nombreuses demandes de consultation et de sessions de formation formulées par des agents socio-économiques oeuvrant dans des organisations privées, 92 Bruno Fabi et Réal Jacob gouvernementales et syndicales ainsi que par des professionnels regroupés en corporations. Situation schizophrénique: attentes professionnelles vs attentes scientifiques Malgré ces sollicitations en termes d'enseignement et de services à la collectivité, l'appareil universitaire continue d'imposer ses exigences d'administration pédagogique et de recherche aux professeurs d'administration, exigences qui se concrétisent notamment par des critères d'évaluation lors des processus d'évaluation du rendement et d'attribution de promotions. Cette situation provoque ce que Thoenig (1981) a appelé de «véritables états schizophréniques» où le professeur de gestion vit deux vies qui risquent de ne plus communiquer entre elles: une partie de son temps, il enseigne dans des programmes dont le contenu n'a aucun ou très peu de lien avec l'autre partie de ses activités professionnelles. Il se situe en fait, si l'on veut schématiser, à la croisée de deux références distinctes. D'une part, la clientèle étudiante et le milieu socio-économique qui manifestent fréquemment des attentes d'ordre très pratique, très opérationnel, en vue de la résolution de problèmes les confrontant en contexte organisationnel. D'autre part, la communauté scientifique, parfois moins préoccupée par la pertinence sociale des recherches, impose ses exigences de normes et de méthodes au professeur. Les mécanismes officiels de cette communauté, qui sanctionne les travaux de ses membres par l'intermédiaire des jurys pour les communications et des comités de lecture pour les articles, s'appliquent également au professeur d'administration désireux de communiquer les résultats de ses études. Devant ces sollicitations souvent incompatibles, on assiste à une sorte de polarisation des professeurs autour des pôles de l'enseignement et de la recherche, polarisation qui s'explique aussi probablement en partie par des différences individuelles relatives aux intérêts et aux aptitudes. Le débat, toujours vigoureusement en cours dans plusieurs universités, concerne la vocation d'une faculté, d'une école ou d'un département d'administration. Pour certains, l'objectif ultime consiste à former des professionnels de la gestion compétents, capables de gérer adéquatement des organisations ou même d'en créer. Ces défenseurs de la vocation professionnelle des facultés d'administration soulignent que l'insistance doit nécessairement être portée sur l'enseignement, non seulement à cause des conséquences néfastes potentielles au niveau de la survie des organisations embauchant les diplômés, mais également pour satisfaire les exigences de certaines corporations professionnelles qui sanctionnent sévèrement, par des examens de sélection, la qualité et la pertinence de la formation universitaire reçue par leurs futurs membres. Ce genre de contraintes habituellement retrouvées dans les facultés à vocation professionnelle, se reflètent d'ailleurs nettement dans les attentes des étudiants en gestion dont le principal objectif de formation universitaire consiste en l'acquisition de connaissances pertinentes à leurs activités professionnelles sur le marché du travail (Jones, 1979). Dans un tel contexte, on pourrait en venir, selon Thoenig (1981), à considérer la science et la gestion 93 De la situation particulière des professeurs d'administration en contexte universitaire comme deux actes antithétiques: la formation en gestion se voulant surtout une transmission de connaissances techniques et de socialisation de personnalités, elle n'aurait pas grand chose à attendre de la production d'un savoir souvent intellectuel et peu rattaché à la réalité organisationnelle. D'autres professeurs d'administration insistent pour leur part sur la dimension universitaire de leurs-fonctions, dimension qui implique nécessairement, selon eux, une démarche de recherche. Celle-ci pourra éventuellement fournir aux praticiens des techniques ou des instruments pouvant améliorer et faciliter la gestion de leurs organisations dans un environnement socio-économique en constante évolution. Leur argumentation sensibilise au fait que la finalité de toute faculté universitaire, incluant celles que la terminologie de l'enseignement supérieur qualifie de professionnelles, dépasse la simple satisfaction des besoins en effectifs manifestés par le marché du travail. Pour certains de ces professeurs, l'analyse critique des pratiques actuelles de gestion et la réflexion sur le devenir des organisations constituent également des mandats fondamentaux de tout universitaire qui se respecte. A leurs yeux, la recherche génère des informations, détecte des problèmes, favorise l'émergence de nouveaux modes de raisonnement qui constituent un apport essentiel à l'enseignement. Bien que ce genre de débat enseignement-recherche ne soit pas l'apanage des facultés d'administration, il prend ici une véhémence tout à fait particulière. On doit d'autant plus s'y attarder qu'il risque de provoquer, si ce n'est déjà fait, un sentiment d'iniquité chez plusieurs professeurs d'administration n'ayant pas l'impression qu'on apprécie leurs contributions à leur juste valeur. Or, comme le soulignent Daniels et al. (1984), un tel sentiment d'iniquité est susceptible d'affecter négativement le rendement de certains professeurs, notamment en termes de temps consacré aux évaluations pédagogiques, à l'encadrement académique et professionnel de la nombreuse clientèle étudiante ainsi qu'aux activités d'administration pédagogique aux niveaux départemental et universitaire. Caractéristiques des diverses disciplines administratives Les professeurs d'administration se distinguent également au niveau des caractéristiques mêmes des multiples domaines disciplinaires dans lesquels ils oeuvrent. Un modèle de classification de l'ensemble des disciplines universitaires (Biglan, 1973b) permet en effet de situer la majorité des disciplines représentées dans les départements d'administration parmi les « soft-applied-life »et les «softapplied-nonlife systems». Ce modèle intègre trois dimensions. Une première dimension distingue les sciences paradigmatiques («hard») comme la physique, la biologie et l'ingénierie, des sciences non-paradigmatiques («soft») comme l'éducation et les humanités, les sciences sociales se situant vers le centre de ce continuum. On fait ici référence à la présence ou à l'absence d'un paradigme (Kuhn, 1962: voir Biglan, 1973a) dans une discipline, le paradigme ayant une fonction d'organisation favorisant un certain consensus relatif aux objets de recherche aussi bien qu'aux méthodes pour les aborder. A cet égard, Biglan 94 Bruno Fabi et Réal Jacob (1973a) classifie la majorité des disciplines administratives parmi celles étant encore en quête d'un paradigme bien défini. Une deuxième dimension concerne le degré de préoccupation d'une discipline pour l'application à des problèmes concrets. Les disciplines administratives se regroupent ici autour du pôle appliqué par opposition à des disciplines fondamentales («pure») comme les sciences physiques et les mathématiques ainsi que les langues, l'histoire et la philosophie. Une troisième dimension distingue finalement les disciplines biologiques et sociales («life») et celles impliquant des objets inanimés («nonlife»). Cette dernière dimension fait ressortir la multidisciplinarité exceptionnelle des départements d'administration et introduit une distinction fondamentale entre des disciplines «nonlife» comme la comptabilité, la finance et l'économique et des disciplines «life» comme le comportement organisationnel, la gestion des ressources humaines et la psychologie industrielle qui pourraient être classifiés parmi les « soft-applied-life systems». Or des vérifications empiriques de ce modèle ont démontré que l'appartenance à un groupe disciplinaire particulier pouvait avoir une influence déterminante sur l'implication des professeurs dans des activités comme l'enseignement, la recherche et les services à la collectivité (Biglan, 1973b). Cette analyse, basée sur les trois dimensions du modèle, fait ressortir les différences significatives suivantes. Les professeurs dans les disciplines paradigmatiques s'impliquent moins dans l'enseignement et davantage en recherche où ils publient plus d'articles dans des revues scientifiques et moins de monographies que leurs collègues des disciplines non-paradigmatiques qui doivent souvent décrire et justifier plus longuement leurs hypothèses de recherche, leur méthodologie ainsi que les critères permettant d'évaluer leurs propres résultats. D'autre part, les professeurs oeuvrant dans des disciplines appliquées s'impliquent davantage dans les activités de services à la collectivité auxquelles ils consacrent plus de temps que leurs collègues des disciplines pures qui, eux, manifestent plus d'intérêt pour la recherche. Cette préoccupation pour les services à la collectivité incite d'ailleurs les professeurs des disciplines appliquées à publier davantage des rapports techniques que des articles scientifiques, ces rapports s'avérant souvent plus propices à la communication des résultats de recherche aux groupes et aux individus à qui ces services s'adressent. La majorité de ces résultats ont été confirmés par une autre étude empirique auprès de 488 départements de 32 universités américaines (Smart et Elton, 1975). Ces auteurs, dans une analyse des orientations de différents départements regroupés selon les trois dimensions du modèle de Biglan (1973a), confirment les prétentions de cet auteur en plus de fournir certaines conclusions particulièrement pertinentes pour le groupe d'individus qui font l'objet de la présente discussion. Ils observent en effet, à l'aide d'analyses discriminantes, que les départements appliqués, notamment les «soft-life-applied» et les «soft-nonlife-applied» dont font majoritairement partie les professeurs d'administration, valorisent effectivement le développement académique et professionnel de leurs étudiants ainsi que les services à la collectivité à l'intérieur comme à l'extérieur de l'université. Ils ajoutent également 95 De la situation particulière des professeurs d'administration en contexte universitaire que ces départements, comme tous ceux appartenant à des disciplines nonparadigmatiques, attachent beaucoup d'importance au climat organisationnel ainsi qu'aux processus administratifs régissant la vie départementale. Ce genre de constatation amène Biglan (1973b) à une conclusion importante: il semble impossible d'adopter des standards d'évaluation applicables à l'ensemble du corps professoral universitaire. Ce serait par exemple une erreur d'accorder le même poids à un article scientifique, une monographie ou un rapport technique, indépendamment de l'environnement disciplinaire dans lequel ces documents ont été réalisés. Il faudrait plutôt tenir compte, selon cet auteur, des caractéristiques particulières inhérentes aux disciplines des professeurs évalués et pondérer, en fonction de celles-ci, l'importance de chacune de leurs activités universitaires. CONCLUSION La présente analyse portait sur un groupe vivant une situation particulière à l'intérieur du corps professoral universitaire: les professeurs d'administration. Relativement difficiles à recruter à cause de la rareté des docteurs en administration sortant de nos universités canadiennes et des ouvertures que ces diplômés peuvent trouver à l'intérieur comme à l'extérieur du réseau universitaire, ces professeurs, une fois engagés dans la carrière académique, font face au plus fort ratio d'étudiants/professeur de toutes les disciplines universitaires. Ils sont aussi fortement sollicités pour assumer une partie des services à la collectivité que l'Université fournit au milieu socio-économique. S'ajoutent à cela les exigences de l'appareil universitaire en termes de recherche et d'administration pédagogique, exigences qui ne sont pas nécessairement compatibles avec les caractéristiques particulières des nombreuses disciplines constituant une unité d'appartenance en administration. Devant ces multiples, et souvent incompatibles sollicitations, on assiste à une forme de polarisation autour des pôles vocationnel ou académique, polarisation qui provoque chez certains professeurs un sentiment d'aliénation et d'iniquité face à des politiques de gestion qui ne semblent pas tenir compte des particularités de ce groupe de professeurs puisque ces politiques s'adressent généralement à l'ensemble du corps professoral universitaire. Certains des éléments caractérisant la situation des professeurs d'administration peuvent probablement s'appliquer, à différents degrés, à d'autres groupes du corps professoral universitaire notamment ceux oeuvrant dans des disciplines à vocation professionnelle comme l'ingénierie, l'informatique ou la médecine. Une analyse plus approfondie serait cependant nécessaire pour circonscrire les caractéristiques de ces divers groupes de professeurs et établir un parallélisme avec la situation de leurs collègues oeuvrant dans les disciplines administratives. L'observation et l'analyse permettent toutefois d'en arriver à une constatation qui s'impose assez clairement: l'hétérogénéité du corps professoral universitaire. Cette hétérogénéité appelle, dans une perspective de saine gestion, des politiques de gestion adaptées à ces divergences notamment en ce qui concerne le recrutement et la sélection, la rémunération, l'évaluation du rendement et 96 Bruno Fabi et Réal Jacob l'attribution de promotions. A cet égard, les institutions universitaires auraient possiblement avantage à suivre la voie tracée par certains établissements du réseau universitaire canadien qui ont accepté de gérer ces différences en conférant par exemple le statut d'Ecoles à des disciplines regroupant des groupes de professeurs dont les particularités justifiaient une certaine autonomie de gestion. L'imposition de politiques de gestion uniformes ne respectant pas ces particularités risque de maintenir certains des dysfonctionnements qui ne manquent pas de préoccuper les autorités gouvernementales qui, aussi bien en contexte québécois (Bérubé, 1984) qu'américain (National Commission on Excellence in Education, 1983: voir Daniels et al., 1984), ont récemment rappelé aux universités l'importance de porter plus de soin à la gestion de leurs ressources humaines. RÉFÉRENCES Axelrod, P. Clue: History written as historical romance. CAUTBulletin, December 1984, 5. Bercuson, D., Bothwell, R., Granatstein, J.L. 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