58 Reviews — Recensions Claude Galarneau, Les collèges classiques au Canada français. Montréal, Fides, 1978 Dans une recherche de longue haleine et très documentée, l'auteur nous présente le système des collèges classiques, tant pour garçons que pour filles, avec ses enseignants et enseignés, ses pratiques pédagogiques et l'idéologie qui a donné vie aux 235 institutions. Monsieur Galarneau a vraiment fouillé l'histoire des collèges classiques de leur naissance à leur disparition, c'est-à-dire, de 1620 à 1970. Si des données manquent c'est qu'elles ont été introuvables. Le tout très bien écrit et agréable à lire, va même jusqu'à piquer la curiosité du lecteur. Parfois certains retours en arrière font perdre le fil, comme par exemple aux pages 32, 66, 67, 89, où l'auteur nous ramène à un siècle antérieur en abordant une autre région géographique. Cette difficulté est assez vite surmontée lorsque l'on découvre que c'est la façon de procéder de l'auteur. Sauf à la page 89 où l'auteur laisse entendre assez gratuitement que le clergé faisait de l'argent en administrant les collèges, manne qu'il aurait pu partager avec des lai'ques, cette recherche semble objective et veut rendre à chacun son dû. On y retrouve des gens que l'on connaît, des maisons que nous avons fréquentées, des souvenirs de compétition, enfin le style vivant nous remet en situation. Notre passé n'est pas si loin, ce qui fait que le lecteur se sent un peu les doigts coincés dans la porte historique que l'auteur ferme complètement en 1970 sans laisser entendre que ce système a encore quelques prolongements sous de nouvelles formules. A cette lecture, nous constatons que nous sommes très jeunes intellectuels et les femmes encore plus car en fait, ce n'est que depuis 1970 que l'instruction à tous les niveaux est à la portée de tous. Espérons que l'auteur nous présentera une suite sur les gains et pertes; dans ce temps l'élite savait bien parler et écrire selon l'auteur. La présentation du livre est simple, d'un prix abordable et sans coquille. Une seule erreur saute aux yeux du lecteur, c'est la répétition du deuxième paragraphe à la page 59. Des tableaux illustrent bien l'évolution des collèges classiques et leur diaspora, non seulement au Canada mais aussi aux Etats-Unis. Enfin, ce livre devrait être lu par tout éducateur qui est un peu curieux de ce qui s'est passé hier afin de mieux évaluer le présent et préparer l'avenir. Ce volume mérite sa place dans les bibliographies remises aux futurs maîtres. Madeleine Roy Département des sciences de l'éducation Université du Québec à Trois-Rivières Guy Girard, Jean-Claude Otis, et Normand Proulx, Le stock de ressources humaines hautement qualifiées du Québec et la production des universités québécoises. Montréal, Société METREQ, Office de la langue française, 1978. Cette étude réalisée par la Société METREQ pour le compte de l'Office de la langue française comprend deux tomes; le premier, le plus volumineux, analyse les caractéristiques 59 Reviews — Recensions de la main-d'oeuvre québécoise hautement qualifiée (MQHQ); le second, beaucoup plus réduit, estime la contribution du système d'enseignement universitaire québécois à cette MQHQ. La première étude s'appuie sur l'Enquête sur la main-d'oeuvre hautement qualifiée, réalisée en 1973 par Statistique Canada* à partir d'un échantillon construit à partir du recensement de 1971. Les principales conclusions de ce rapport ont trait à la formation et à l'emploi de cette MQHQ analysée "dans une perspective linguistique à partir du concept de langue d'usage, indice d'une certaine appartenance culturelle et de celui de l'aptitude linguistique, c'est-à-dire de la capacité de s'exprimer en français ou en anglais". Au niveau de la formation, l'étude fait ressortir la faible représentation des diplômés francophones à l'intérieur de certaines disciplines (génie, sciences, économie, sciences politiques et sociologie) et la concentration de ces mêmes diplômés dans d'autres disciplines (éducation notamment, et santé et droit à un moindre niveau). L'étude révèle ensuite certaines disparités dans la diffusion des diplômés sur le marché du travail: concentration des francophones dans les emplois du secteur public (66%) et sous-représentation de ces mêmes francophones dans les secteurs privés de l'économie (de 30 à 50% suivant les industries); enfin, elle confirme les aptitudes au bilinguisme beaucoup plus développées chez les francophones que chez les autres groupes ethniques. Pourtant les conclusions quelquefois alarmantes de cette étude notamment, au niveau de la faiblesse du stock des ressources francophones hautement qualifiées (seulement 60% de la MQHQ a le français comme langue d'usage), de la forte dépendance technologique du Québec face à la production extérieure de diplômés ou de la corrélation entre la présence francophone et le contrôle ou la propriété des secteurs de l'activité économique, doivent être replacées dans une perspective historique. Les données sur lesquelles l'étude repose, datent de près de 8 ans si l'on considère que seuls les diplômés ayant déclaré détenir un diplôme universitaire lors du recensement de 1971 ont pu être contactés. Sans être naif au point de prétendre que tout a changé depuis cette date, il y a néanmoins eu un gonflement fort substantiel de cette MQHQ au cours des huit dernières années puisque les universités québécoises ont produit de juin 71 à juin 79 un total approximatif de 135,000 diplômés ce qui comparativement au stock de 150,000 personnes composant la MQHQ en 1971, doit représenter une forte proportion de la MQHQ actuelle même si l'on considère les départs qui ont pu survenir. Comment cette nouvelle "génération" de la MQHQ aura modifié les structures de cette main-d'oeuvre hautement qualifiée? C'est une question à laquelle personne ne peut répondre tant qu'une nouvelle enquête sur la main-d'oeuvre hautement qualifiée ne sera pas réalisée. Pourtant il y a fort à parier que la sortie de quelque 90,000 diplômés des universités francophones du Québec entre juin 71 et juin 79 couplée à l'immigration réduite des allophones et à la forte tendance à l'émigration (un sur deux) des diplômés anglophones du Québec a renforcé la composante francophone du stock des ressources québécoises hautement qualifiées. Même il est probable que l'écart entre les proportions d'individus qui accèdent à la partie "hautement qualifiée" de la population active (1,9% chez les francophones et 6,0% chez les anglophones en 1971) se soit notablement réduit. * Un article de Farine et Knowles, publié dans le numéro VI-2 de La revue canadienne de l'enseignement supérieur, avait déjà analysé certaines données de cette enquête relatives au lien formation-emploi des diplômés en beaux-arts, en humanités et en sciences sociales au Canada. 60 Reviews — Recensions Plus grave m'apparait être le genre de biais que les auteurs de cette recherche développent par rapport au mandat de l'Office de la langue française. Cet Office "a pour principale tâche de veiller à ce que le français devienne, le plus tôt possible, la langue de communications, du travail, du commercent des affaires dans l'Administration et les entreprises.. . Cela comporte l'augmentation à tous les niveaux de l'entreprise, du nombre de personnes ayant une bonne connaissance de la langue française" (Préface p. 3 Tome I). Il n'y a rien là qui impose comme le laisse entendre les auteurs en filigrane (deuxième paragraphe de la page 42) que 80,8% de la MQHQ devrait être de langue d'usage française puisque 80,8% de la population active l'est ou du moins l'était en 1971. Il peut s'agir certes d'un objectif du gouvernement québécois mais pour être utile au personnel de l'Office de la langue française, ce que prétendent les auteurs dans leur préface, il faudrait fournir des données sur l'état du français — langue de travail, qui doit rester la seule préoccupation de l'Office même s'il représente l'outil majeur pour atteindre ce grand changement structurel de la société québécoise qui ne saurait survenir qu'à beaucoup plus long terme. Malheureusement la question sur la langue de travail ne faisait pas partie (par quels mystères?) des questions posées lors de l'enquête de Statistique-Canada et à moins d'assimiler grossièrement langue de travail et langue d'usage, langue de travail et aptitude linguistique, ou de faire des hypothèses simplificatrices au niveau de "l'unilinguisme anglophone" ou du "bilinguisme francophone" au travail, ce qui d'ailleurs est en train de changer quelque peu puisque de plus en plus de diplômés francophones se déclarent unilingues et de plus en plus de diplômés anglophones se déclarent bilingues (Tableau 1.14 page 45), à moins donc de se perdre en conjectures sur l'homogénéité de la langue de travail et de la langue d'usage, les données sur la langue d'usage ne pourraient à elles seules justifier les interventions de l'Office de la langue française qui doit se préoccuper du nombre de diplômés qui ont le français comme langue de travail et qui ne devrait théoriquement pas se laisser influencer par la répartition ethnique de ces diplômés. Cette préoccupation de "remplacer" des anglophones par des francophones plutôt que de développer le français dans les milieux de travail transparaît tout au long de la recherche et culmine dans l'analyse du lien formation-emploi qui tente de cerner les exigences éducatives d'une profession ou réciproquement le profil occupationnel des individus ayant en commun un certain domaine d'études. Dans la première optique notamment, l'objectif est clairement exprimé (pages 88 et 89 du tome I): modifier par des politiques gouvernementales les besoins des différentes spécialités selon la langue et en conséquence produire plus de diplômés francophones là où les exigences linguistiques créeront le plus de "besoins". Que le mot besoins est soigneusement choisi pour cacher celui de "départs" puisqu'il est impossible qu'une politique linguistique crée à elle seule des emplois. S'il apparait justifié de faire jouer au flux des jeunes diplômés le rôle d'agent de transformation des structures de la population active nécessaire au développement économique, il est très délicat sinon dangereux de vouloir leur faire jouer le jeu du développement culturel, du moins d'un développement culturel dissocié du développement économique. Produire plus de diplômés en Génie ou en Administration pour la seule raison que les francophones sont sous-représentés dans ces emplois est un pari dangereux pouvant conduire au chômage ou à la mauvaise utilisation des diplômés excédentaires. Que se passera-t-il si les allophones et anglophones acceptent la généralisation du français — langue de travail, si tout en parlant le français au travail ils continuent de se retrancher dans un marché du travail indépendant 61 Reviews — Recensions ayant une offre et une demande indépendantes du marché des francophones? N'oublions pas que dans un marché du travail balkanisé comme le nôtre, offre et demande excédentaire peuvent exister simultanément. Toute croissance des effectifs étudiants francophones qui ne s'appuyerait pas sur une croissance parallèle de la demande sociale, ou des besoins techniques liés au développement économique, apparaîtrait donc hasardeuse. Enfin le tome II promettait, suite peut-être à un lapsus, (p. 19 du tome II) "des données plus récentes quant au stock de ressources québécoises en main-d'oeuvre hautement qualifiée." Ces données, comme nous l'avons vu, apparaissaient nécessaires si l'on tient compte du caractère obsolète des données de l'enquête de Statistique Canada. Pourtant cette recherche n'estime pas du tout la MQHQ mais plutôt l'évolution du stock de diplômés québécois entre les années 1936 et 1975.. Aucune estimation n'est faite de la répartition de ces diplômés sur le marché du travail à partir, par exemple, des profils occupationnels élaborés dans le tome I pour chaque discipline. La faiblesse de nombreux liens formationemploi et les trop nombreuses possibilités de substitution ont dû décourager les auteurs dans cette estimation qui serait apparue comme un complément logique de l'étude du tome I. Il est alors peu vraisemblable comme ils l'écrivent (page 17 tome II) que leur analyse précédente du lien formation-emploi permettra aux autorités responsables de la promotion du français d'orienter leurs interventions. En ce qui a trait à l'estimation de la population des diplômés québécois, la recherche met à jour une étude réalisée pour le compte de la Commission Gendron sur "La production des universités québécoises et la population de formation universitaire du Québec" (Etude E-5). L'étude repose sur un modèle d'évaluation de la population des diplômés à partir du nombre de diplômes octroyés et de certains coefficients: "d'entrée", de "provenance", de "survie" et de "résidence", dont la stabilité ne semble pas toujours démontrée et qui doivent, en conséquence, être remis à jour périodiquement. Enfin le modèle, comme les auteurs le soulignent, néglige un phénomène de taille: celui des diplômés ayant obtenu leur(s) diplôme(s) d'une université située hors du Québec (environ 26% de la MQHQ en 1971). Au niveau de la forme, la présentation des tableaux comme celle du texte qui les accompagne est bonne; les auteurs ont su faire oublier le côté indigeste des présentations statistiques et ce dans un français excellent si ce n'est quelques anglicismes du genre et/ou (p. 10 tome II). Pour compenser l'allure quelque peu négative des paragraphes précédents, il faut avouer qu'il s'agit d'une recherche extrêmement complète et bien documentée sur la situation des francophones dans la main-d'oeuvre québécoise hautement qualifiée. Mais en débouchant sur des politiques de francophonisation (p. 198 du tome I), cette recherche déborde largement le mandat dévolu à l'Office de la langue française qui, rappelons le, en est un de francisation et non pas de francophonisation des milieux de travail. Gilles Guérin Ecole de relations industrielles Université de Montréal