32 Marcel de Grandpré 4. Pour un service international d'étude des dossiers individuels ROLAND WIKARYJAK Le problème L'établissement des équivalences d'études supérieures est, par définition, un problème international. Les accords conclus à ce niveau offrent une garantie relative aux systèmes universitaires impliqués et leur signature résulte de longues études et concertations. Ils confèrent donc peu d'importance au caractère individuel et dynamique de la formation de niveau supérieur. L'étude des dossiers individuels, telle qu'effectuée dans les pays à structures universitaires décentralisées, vise l'admission et le placement dans un cadre académique ou professionnel déterminé. Les critères utilisés sont unilatéraux, donc aléatoires pour les étudiants étrangers. Par ailleurs, aucune de ces pratiques ne permet une juste évaluation d'une formation individuelle sortant des cadres conventionnels. Or, à l'extrême, et au regard des tendances vers une formation universitaire individualisée, de fait, par l'évolution du schème vital, l'évaluation de cette formation ne devrait-elle pas être une reconnaissance internationale de sa valeur intrinsèque? Comment lui délivrer un visa valable dans différents pays et surtout, à brève échéance, à l'intérieur des "régions" socio-culturelles existantes? Une réponse à cette question pourrait être l'accréditation, par plusieurs pays, d'un organisme chargé d'étudier les dossiers individuels, en vue d'une validation internationale des qualifications. Encore faut-il que certaines préoccupations, certains efforts et même certaines réalisations justifient la recherche d'une telle solution. Solutions partielles Des accords font valoir, à un niveau international, le caractère individuel de la formation supérieure. Des services de documentation, par leur mode d'opération ou leur portée internationale, permettent une connaissance, sinon une reconnaissance, internationale de certains aspects de la formation. Certains pays ont déjà établi une tradition dans l'étude des dossiers individuels. Ces faits méritent une analyse, car ils semblent prouver que la préoccupation existe déjà ou même que des facteurs favorables à la recherche d'une solution exercent dès à présent leur influence. 1. Les ententes Une démarche radicale, mais peu généralisée, consiste à mettre sur pied des formations parallèles, de caractère mondial, comme celle qu'assurent les United World Collèges. Elles sont dignes d'intérêt, dans la mesure où elles tiennent compte des qualités et qualifications individuelles dans ce contexte interculturel et où les diplômes qui les sanctionnent en font mention. Un nombre croissant de pays s'intéresse aux recommandations des comités d'experts de l'Unesco (1), relatives à la conception de nouveaux critères et de nouvelles formes d'évaluation. Le comité des experts réunis à Kingston, Jamafque, en 1971, a été l'instigateur de la signature, en juillet 1974, d'une convention régionale entre les pays d'Amérique latine et des Caraïbes. Le trait dominant en est une reconnaissance du caractère individuel de la formation universitaire, académique ou professionnelle. Sans vouloir simplifier, à l'excès, la portée de la convention, on 33 L'équivalence des études supérieures peut assurer pourtant que cette reconnaissance a correspondu à une restructuration plus élastique des cycles de niveau supérieur, faisant intervenir d'autres facteurs que les seules études, soit l'expérience et les aptitudes personnelles. L'ensemble de ces qualifications correspond à un niveau de maturité ou de disponibilité, certes déterminé, mais valable pour l'ensemble des pays concernés. Sans être essentiellement axée sur l'individu, son application pratique constitue une reconnaissance de la progression individuelle de sa formation. Le comité des experts réunis à Rabat en 1972 et l'enquête menée en 1973 auprès des pays méditerranéens devraient conduire à la signature, par ces pays, d'une convention basée sur les mêmes préoccupations. Une étape pratique, résultant de cette signature, serait la mise en service d'un livret individuel de l'étudiant, faisant mention de toutes ses qualifications en termes valables au niveau régional. Sa confection et sa compréhension exigeraient nécessairement une vaste documentation. 2. La documentation Tous les organismes internationaux intéressés à la formation supérieure, Unesco, AIU, Aupelf, ACU, sont des centres documentaires assez complets sur les aspects quantitatifs et qualitatifs de cette formation dans les différents systèmes ou institutions qu'ils regroupent. Certains travaux, dont ceux de Marcel de Grandpré, constituent les bases de la classification et de l'utilisation de la documentation internationale dans l'évaluation des qualifications au même niveau. Le service de documentation de l'USOE (2) est un modèle concret du soutien indispensable de renseignements précis à l'évaluation individuelle d'étudiants et professionnels étrangers. Grâce à la coopération d'organismes internationaux, d'experts en éducation internationale et par l'utilisation du système ERIC, l'USOE a centralisé, en une banque unique, tous les renseignements généraux, institutionnels (programmes, services, bibliothèques, laboratoires, ratios, résultats) et personnels (qualifications antérieures d'étudiants immigrants). L'étude du dynamisme éducationnel des pays étrangers permet, en outre, une mise à jour des données. Cette banque de renseignements, nécessitée par l'étude des dossiers individuels, a permis une évolution de sa conception et de sa structure. 3. Le dossier Le dossier est la pièce maîtresse de l'évaluation américaine (3). C'est, en fait, la collection de tous les renseignements relatifs à l'individu, son curriculum vitae et son histoire académique quant aux institutions, aux statuts d'entrées et de sorties, aux études, à leurs évaluations quantitatives et qualitatives, aux travaux, aux résultats généraux, à ceux des tests et examens, aux réponses aux questionnaires, aux rapports d'entrevues et aux références. L'étude du dossier (4) consiste à établir une séquence chronologique du passé académique, et professionnel, s'il y a lieu, de l'individu, en identifiant les étapes importantes de sa formation, afin de la comparer aux standards américains. L'évaluation finale équivaut à l'appréciation de l'adaptabilité de la personne, du point de vue de ses possibilités personnelles, académiques et parfois professionnelles, à des exigences données. 4. Les évaluateurs Cette étude est effectuée par des fonctionnaires spécialisés ("admissions officers") qui ont directement accès aux renseignements fournis par l'AACRAO (5) et l'USOE. Par ailleurs, ils 34 Marcel de Grandpré peuvent obtenir l'aide immédiate du Council on Evaluation of Foreign Student Credentials, fondé en 1955 sur l'initiative de l'AACRAO, pour résoudre le problème créé par les affectations erronées, et celle de l'USOE pour évaluer certaines pièces présentant des difficultés particulières (6). L'appréciation de certaines caractéristiques individuelles exige, de la part des évaluateurs, des garanties d'objectivité. En Grande-Bretagne, on croit les chefs de départements (ou professeurs) en mesure de les offrir puisque c'est eux que l'on charge de l'évaluation des dossiers étrangers, vu leur expérience dans les relations humaines, à un niveau élevé de responsabilités et de culture. Perspectives Il faut, maintenant, se demander dans quelle mesure les facteurs mentionnés précédemment plaident en faveur d'une étude similaire, conçue au niveau international, et justifient la raison d'être et la viabilité du service qui en serait chargé. L'étude des dossiers individuels, à ce niveau, aurait pour but de garantir à chaque intéressé une évaluation qui, d'une part, rendrait justice aux apports extrinsèques et intrinsèques de ses qualifications et, d'autre part, leur attribuerait une valeur internationale. En supposant qu'a priori, tous les systèmes universitaires soient intéressés à la création d'un service international chargé de cette étude, il faudrait qu'ils parviennent à s'entendre, quant à la conception du service de documentation, du dossier, des critères de l'évaluation, des évaluateurs et du rôle même du service. 1. La documentation La documentation de valeur et de portée internationales existe, elle est abondante, et elle est déjà accompagnée de guides d'utilisation. Elle porte essentiellement sur les systèmes et les institutions, mais s'il pouvait se développer rapidement un réseau informatisé reliant des services nationaux à un service international, elle s'enrichirait, à l'instar de l'USOE, d'une "jurisprudence" imputable à de multiples cas individuels. Un réseau semblable permettrait sans doute un échange immédiat d'information sur un cas individuel. Dans la mesure où les pays sont favorablement disposés envers les institutions internationales, ils ne manifesteraient sans doute aucune réticence vis-à-vis du traitement de la documentation à ce niveau. 2. Le dossier Les experts réunis à Rabat en 1972 préconisaient l'établissement du profil académique et humain de chaque individu, au moyen d'un livret valable dans tous les pays. Dupuy et Tunkin (7) en faisaient un "passeport" qui permettrait à chacun de faire valoir, n'importe où, ses qualifications académiques et son expérience. La conception plus générale du dossier américain, ainsi que les ressources actuelles de l'informatique, laissent entrevoir la possibilité d'un programme centralisé pour traiter toutes les données et renseignements relatifs à l'intéressé: curriculum vitae, études, expérience personnelle, notations, évaluations par les professeurs d'université, auto-évaluations, etc. . . , sous forme de documents écrits et audio-visuels (enregistrements magnétoscopiques d'entrevues, par exemple). La constitution d'un tel dossier aurait pour but de rendre justice à l'individu, et il faut espérer qu'elle rencontrerait peu d'opposition de la part des gouvernements, théoriquement au moins, car il est impossible de régler, a priori, tous les cas particuliers qui font partie de la pratique. 35 L'équivalence des études supérieures 3. Les critères d'évaluation. C'est à ce niveau que l'accord semblerait le plus difficilement réalisable. De nombreux systèmes basent encore leurs évaluations sur les titres ou même le nombre d'années d'études, alors que d'autres concèdent déjà communément que l'accession à un certain niveau doit tenir compte à la fois de données quantitatives (temps) et qualitatives (études — expérience — aptitudes). Angel Trapero Ballestro (8) laisse entendre, cependant, qu'après la signature de la convention méditerranéenne, il serait possible de réaliser le voeu exprimé par la Conférence générale de l'Unesco lors de sa 13ème session, soit la préparation d'une convention universelle. La conception de critères adéquats, individuels et dynamiques, constitue l'apport positif de ces conventions. Mais il y a surtout les dizaines de millions de personnes conscientes du fait que, en raison des changements accélérés se produisant dans les systèmes socio-économiques, elles auront à changer d'activité à différentes reprises et verront ainsi leur curriculum vitae évalué plusieurs fois au cours de leur existence. Que ce soit pour commencer ou pour poursuivre des études, pour s'engager dans une activité professionnelle, pour se perfectionner, ou encore pour se recycler dans une autre activité, la formation acquise par une personne, son expérience et ses réalisations feront l'objet d'appréciations successives. Chacun sera ainsi évalué suivant le niveau de maturité atteint ou le niveau de disponibilité nécessaire pour entreprendre des tâches nouvelles, faire face à d'autres responsabilités, ou mener des études ou des recherches (9). Qui plus est, la concordance de ces niveaux avec des étapes-clés dans la formation de l'individu, par rapport aux situations et besoins sociaux, représente une solution simple et apparemment valable au problème de l'établissement de normes universelles. Dans Les études supérieures (10), Jean Guitton définit même, pour tous les pays assurant une formation supérieure, les trois étapes essentielles, à savoir: 1. l'application responsable d'une technique, 2. la prise de décision devant un cas précis, 3. la capacité de création, de généralisation, de planification à grande échelle ou l'établissement de stratégies de développement. Si tous les pays étaient prêts à reconnaître qu'une correspondance justement établie entre un niveau de maturité ou de disponibilité et une situation ou un besoin particulier, décelable dans l'échelle des étapes-clés, constitue une ouverture valable pour tout individu, la responsabilité majeure incomberait au service international, par l'intermédiaire de ses évaluateurs. 4. Les évaluateurs Pour étudier un dossier personnel, tel qu'il est concevable, en fonction d'une documentation assez complexe, de critères et de normes progressifs et, en prévision de télé-entrevues possibles, il faudrait que les évaluateurs fassent preuve de qualifications allant d'une grande ouverture d'esprit à une connaissance approfondie des milieux et des systèmes d'où proviennent les cas à étudier, en passant par la maturité culturelle et l'expérience dans les relations humaines. Au sein de chaque système et même entre divers systèmes, on semble accorder un certain crédit aux appréciations de personnes "spécialisées" dans les relations humaines, comme les enseignants, les médecins, les avocats, les prêtres, et en particulier aux évaluations de professeurs d'université. Du fait que ces derniers représentent tous les secteurs possibles d'études et d'activités, et qu'une longue expérience humaine et professionnelle leur permet, peut-être, une évaluation 36 Marcel de Grandpré plus circonstanciée et plus individuelle que celle de fonctionnaires affectés à cette tâche, a priori, il est plausible de concevoir le recrutement des évaluateurs parmi les professeurs d'université pourvus d'une assez longue expérience. Une formation pratique, de niveau international, pourrait s'ajouter. Cette nécessité d'une compétence exceptionnelle se justifie par la complexité de l'évaluation humaine, surtout quand l'individu est amené à se prévaloir d'aptitudes et de qualifications acquises au travers de plusieurs systèmes d'études. 5. Le rôle et la portée d'un service international. Une des préoccupations de l'Unesco est l'ouverture de services régionaux, chargés d'étudier les questions relatives au problème, dans le cadre d'un ensemble de pays ayant plus ou moins d'affinités culturelles. Cette ouverture pourrait faciliter le recrutement des évaluateurs et leur "promotion" à un service international. D'ailleurs, comme le laissent supposer Dupuy et Tunkin (11), l'accord serait plus facile à réaliser au niveau régional, et les évaluations n'affectant que des mouvements à l'intérieur d'une région devraient être le fait de bureaux régionaux. Le service international pourrait représenter l'instance la plus élevée, chargée d'étudier les dossiers d'individus affectés par des mouvements interrégionaux et intéressés par une évaluation, ou de trancher les cas litigieux. Il est évident que les démarches seraient longues et ardues. Même si un tel service voyait le jour, il impliquerait l'adhésion des différents systèmes universitaires, centralisés ou non, des différents corps professionnels, nationalisés ou non; il ne pourrait empêcher des revirements d'attitudes attribuables à des situations particulières, économiques, politiques ou culturelles, et, peut-être même, des désengagements catégoriques. C'est, sans doute, le sort des instances internationales. Le passage "de l'équivalence des diplômes à l'évaluation de l'homme" (8) exige pourtant une solution à ces problèmes, car le pays d'aujourd'hui est déjà le village d'hier, et il est souhaitable que l'homme puisse préserver sa dignité, enrichir sa personnalité et la faire valoir n'importe où sur sa terre. 37 L'équivalence des études supérieures Notes (1) Comités d'experts sur la comparabilité et l'équivalence internationales des certificats d'études secondaires et des diplômes et grades de l'enseignement supérieur, UNESCO. (2) United States Office of Education. Le fonctionnement du service est étudié dans University, Government and the Foreign Graduate Student, New York, CEEB, 1969, 60 p. (3) A guide to an Adequate Permanent Record and Transcript, Washington, AACRAO, 1971, p. 6-7. (4) William Strain, Ruth Arnold, Do-it-yourself Evaluation of Foreign Students' Credentials, Washington, AACRAO, 1966, 43 p. (5) L'American Association of Registrars and Admissions Officers publie, parallèlement aux monographies de l'USOE, la World Education Series, une collection de descriptions des systèmes universitaires étrangers, accompagnées de guides destinés à faciliter le placement des étudiants qui en proviennent. (6) Méthodes d'établissement des équivalences entre les diplômes et grades universitaires, Paris, UNESCO, 1970, p. 123. (7) René Jean Dupuy et Gregory Tunkin, Comparabilité des diplômes en droit international, Paris, UNESCO, 1972, p. 81-85. (8) Angel Trapero Ballestero, De l'équivalence des diplômes à l'évaluation de l'homme, dans Chronique de l'Unesco, vol. XX, n ° 4, avril 1974, p. 156. (9) Ibidem, p. 155. (10) Marcel de Grandpré et Roger Folliot, Les études supérieures, Présentation comparative des régimes d'enseignement et des diplômes (Introduction, par Jean Guitton), Paris, UNESCO, 1 9 7 3 , 5 4 9 p. (11) Ibidem, p. 81.