The Canadian Journal of Higher Education, Vol. XVI-2, 1986 La revue canadienne d'enseignement supérieur, Vol. XVI-2, 1986 Austérité et gestion dans les universités québécoises: une analyse des perceptions de directeurs de département MANUEL CRESPO, JEAN B. HACHÉ, CARMEN GENDRON et YVES VANIER* RÉSUMÉ Cet article présente différents aspects de la gestion de l'austérité budgétaire dans l'enseignement supérieur à partir d'entrevues en profondeur effectuées auprès de vingt-cinq directeurs de département de six universités québécoises. En général, il apparaît que les mesures imposées par la direction de l'Université pour faire face aux compressions budgétaires sont plutôt réactives et visent à rencontrer à court terme les objectifs gouvernementaux. Parmi les stratégies relevant plus directement des choix des départements, quelques unes sont proactives. Le poids des contraintes limite, cependant, les choix. Les solutions à plus long terme proposées par les directeurs pour surmonter la crise actuelle de l'enseignement supérieur sont problématiques car elles se basent sur des visions contradictoires de la mission institutionnelle de l'université. ABSTRACT This article discusses different aspects of the management of budgetary austerity in higher education. Its data base consists of in-depth interviews with twenty-five department chairpersons from six Québec universities. In general, strategic choices imposed by university administration are reactive and aimed at meeting short-term government objectives. Among the strategies more dependent on departmental choice, some are proactive. Nevertheless, the range of choices is limited by overall constraints. Longer term solutions to cope with the crisis in higher education proposed by chairpersons are problematic since they stem from somewhat contradictory views on the major role of the university as an institution. *Faculté des sciences de l'éducation, Université de Montréal. Version revue d'une communication présentée au Congrès annuel de l'Association canadienne pour l'étude de l'éducation, Montréal, juin 1985. 16 Manuel Crespo, Jean B. Haché, Carmen Gendron et Yves Vanier INTRODUCTION Entre 1978-79 et 1983-84, les universités québécoises ont subi des compressions budgétaires de 273.6 millions de dollars courants (Roy, 1984, p. 45). Elles ont connu aussi un accroissement de clientèle substantiel: entre 1976-77 et 1982-83 la population étudiante équivalent temps complet est passée de 107,471 à 135,843, soit une augmentation de 26.4% (Roy, 1984, p. 10). Dans ce contexte d'austérité budgétaire sans précédent, les universités québécoises ont dû poser des gestes qui nul doute influenceront, d'une manière ou l'autre, l'enseignement et la recherche universitaires au Québec. Les départements des universités québécoises ne sont pas demeurés insensibles à ce nouvel environnement. Ils ont, en effet, élaboré des stratégies pour s'adapter aux décisions prises par les autorités universitaires et au contexte général d'austérité. Ces stratégies pourront également influencer l'avenir de l'enseignement et de la recherche universitaires au Québec. La crise financière qu'ont connue les universités québécoises déborde largement les frontières du Québec. Elle affecte, en effet, la majorité des universités occidentales. Au Canada, les gouvernements consacraient aux universités en 1967-68 24.7% des dépenses publiques allouées à l'éducation. Dix ans plus tard, ce pourcentage est réduit d'environ 5 points (Hardy, 1984, p. 60). Cette diminution est d'autant plus significative que la part des budgets de l'éducation dans les dépenses publiques diminue. Entre 1970 et 1975, cette part est passée de 22.2% à 16.7% des dépenses publiques au Canada (ibid., p. 60). Ces diminutions successives affectent directement le personnel universitaire. Ainsi, à l'Université de la Colombie britannique cent quatre-vingt-dix postes (professeurs et personnel de soutien) ont été éliminés en 1984-85 (Shore, 1985, p. 7). Aux États-Unis, les universités publiques ont connu des compressions budgétaires dès le milieu des années soixante-dix. Par ailleurs les projections prévoient un déclin de 10% de la clientèle au cours de la prochaine décennie (Volkwein, 1984, p. 389) ce qui risque de réduire encore leurs budgets. En Grande-Bretagne, les universités ont subi des compressions variant entre 2% et 42% entre 1979-80 et 1981-82 (Shattock et Berdahl, 1984, p. 492). On rencontre le même phénomène en Europe du Nord (Neave, 1984, p. 127) et en Australie (St-John et McCaig, 1984, pp. 619-620). La gestion de la décroissance en éducation supérieure demeure un phénomène récent et le corpus de connaissances n'a pas encore atteint le seuil critique qui permette la théorisation. Finkelstein, Farrar et Pfnister (1984) soulignent, d'autre part, que les stratégies élaborées par les organisations universitaires sont tellement différentes les unes des autres dans des conditions environnementales fort semblables que cela rend la généralisation et la comparaison très difficiles (Finkelstein et al., 1984, p. 243). Cet article présente les résultats de l'étape exploratoire d'une recherche sur la gestion de l'austérité budgétaire et de variations sectorielles des effectifs au niveau universitaire au Québec. 1 Un volet de cette étape consistait à interviewer 2 des directeurs et directrices 3 de départements d'universités québécoises sur les stratégies utilisées pour s'adapter aux nouvelles contraintes et leurs conséquences 17 Austérité et gestion dans les universités québécoises: une analyse des perceptions de directeurs de départment ainsi que sur leur vision concernant les ajustements à effectuer à long terme pour devenir plus efficaces. Après avoir présenté brièvement l'échantillon de l'étude exploratoire, les perceptions des directeurs de leur environnement seront analysées. Ensuite, l'on décrira les différentes stratégies employées par les départements pour s'adapter à leur nouvel environnement. Suivra, enfin, une analyse des opinions des directeurs de départements concernant l'avenir des universités. Échantillon de l'étude exploratoire Tenant compte de nos ressources, nous avons procédé par échantillonnage théorique (Glaser et Strauss, 1971) comportant les caractéristiques les plus générales des départements. Comme il demeurait hors de question de quantifier les résultats obtenus à cette étape exploratoire, ce type d'échantillon apparaissait satisfaisant. C'est d'ailleurs pourquoi les résultats sont présentés en termes qualitatifs. L'échantillon comporte vingt-cinq départements dont 52% connaissent une décroissance de clientèle et 44% une croissance de clientèle. Par ailleurs, quatorze départements appartiennent aux sciences humaines et sociales, et onze aux sciences pures et appliquées. Enfin, quatorze d'entre eux dispensent une formation professionnelle, et onze une formation scientifique. Les interviews ont été réalisées à l'Université de Montréal, l'Université du Québec à Montréal, l'Université Concordia, l'Université McGill, l'Université Laval et l'Université du Québec à Chicoutimi. D'une durée d'environ une heure et demie, les entrevues avec les directeurs et directrices des départements choisis ont eu lieu au printemps de 1984. UN NOUVEL ENVIRONNEMENT On distinguera ici entre environnement externe et environnement interne. L'environnement externe est défini comme des conditions extérieures à l'université qui l'affectent directement et l'obligent à s'adapter, soit les conjonctures politique et économique. L'environnement interne est constitué par les stratégies des autorités universitaires supérieures pour s'adapter aux compressions budgétaires. Notons que c'est à partir des perceptions des répondants que l'on a assemblé les traits des environnements externe et interne. Il demeure possible que les perceptions ne reflètent pas tout à fait les conditions extérieures et les stratégies universitaires effectivement utilisées, mais ces perceptions restent déterminantes car elles constituent des éléments à partir desquels les départements ont élaboré leurs stratégies. L'environnement externe Comme on vient de l'indiquer, l'environnement externe se rapporte aux éléments des conjonctures politique et économique ayant un impact sur la gestion universitaire. 18 Manuel Crespo, Jean B. Haché, Carmen Gendron et Yves Vanier La conjoncture politique Plusieurs directeurs de départements s'inquiètent de l'emprise gouvernementale croissante sur l'éducation supérieure au Québec. Quelques-uns parlent même de dépendance. On croit aussi que les compressions budgétaires accroîtront la centralisation gouvernementale. Ce changement dans les relations entre l'État et les universités a été aussi constaté ailleurs, notamment en Australie (Harman, 1983). Il devient peut-être plus visible et gênant en période d'austérité budgétaire. Mais comme l'a si justement souligné Harman, il était inhérent à la transformation du système universitaire autrefois réservé à une petite élite en un système où la population étudiante provient de toutes les couches de la société. D'autre part, on dénonce l'approche indifférentiée du gouvernement du Québec pour déterminer les compressions budgétaires car les universités québécoises sont différentes les unes des autres. En effet, on ne peut équitablement comparer le coût moyen de formation d'un étudiant entre les universités qui dispensent les sciences de la santé à celles qui ne les dispensent pas. La conjoncture économique Un consensus se dégage concernant l'impact de l'évolution de la demande du marché de l'emploi sur les variations de clientèles. Ainsi, les départements qui offrent une formation en grande demande connaissent une croissance de clientèle appréciable. Par contre, les départements qui dispensent une formation peu recherchée sur le marché du travail connaissent une chute de clientèle au premier cycle. La croissance aux 2 e et 3 e cycles dépendrait, selon nos répondants, du peu de perspectives d'emploi sur le marché du travail qui inciterait les étudiants à poursuivre leurs études. L'environnement interne Il sera question ici des décisions prises par la direction des universités pour faire face aux contraintes de leur situation financière précaire telles que rapportées par les répondants. Successivement de la rationalisation des critères d'attribution, des budgets de fonctionnement, des services offerts, de la gestion du corps professoral, de l'augmentation des contrôles administratifs et de la recherche et l'enseignement. Rationalisation des critères d'attribution des budgets Dans une des universités de l'échantillon, on a développé une formule complexe pour déterminer la productivité des départements. Les coupures budgétaires s'effectuaient alors en fonction de la performance, les départements moins performants devant subir un pourcentage plus élevé de coupures budgétaires. Aux yeux des directeurs de départements de cette université, cette stratégie est inéquitable. Selon eux, comparer un département de linguistique à un département de chimie ne tient pas compte de la spécificité propre à chacun d'eux. Il vaudrait 19 Austérité et gestion dans les universités québécoises: une analyse des perceptions de directeurs de départment Tableau 1 Répartition des départements selon la uariation des clientèles et les universités Universités U. de Montréal U. du Québec Concordia Laval McGill Total Départements Croissance 4 5 Stabilité 1 1 0 0 0 0 1 0 11 1 Décroissance 4 5 3 0 1 13 Total 8 10 4 2 1 25 mieux comparer deux départements de chimie de deux universitiés différentes. Il est à noter qu'une polémique similaire a eu cours en Grande-Bretagne (Craven et al., 1984, p. 285). Les personnes interviewées questionnent beaucoup les effets pervers de ces critères de productivité qui pousseraient les départements, entre autres, à augmenter le ratio étudiants/professeurs aux dépens de la pédagogie. Diminution des budgets de fonctionnement Cette stratégie affecte les frais de déplacement, les frais de photocopie, les appels téléphoniques, le courrier et les invitations de conférenciers. Les départements qui n'ont pas accès à du financement externe comme des fonds de recherche sont les plus affectés par cette mesure. Diminution des services offerts Nos interlocuteurs constatent que les universités ont réduit les services offerts aux étudiants en diminuant, par exemple, les services audio-visuels, et les acquisitions de livres et abonnements des bibliothèques. Dans le dernier cas, cette diminution pourrait atteindre 50% dans certaines disciplines dont la clientèle diminue. Combinées à la diminution du nombre de professeurs, ces réductions affecteraient, selon nos répondants, la qualité de l'enseignement. En effet, moins de recherches étant entreprises au Québec, les étudiants pourraient devoir de plus en plus s'en remettre à des sources bibliographiques anglophones lesquelles, par ailleurs, sont également limitées. Gestion du corps professoral Les universités du Québec ont employé principalement les stratégies suivantes: • non-remplacement des départs • congés laissés vacants • congédiement de professeurs non-permanents 20 Manuel Crespo, Jean B. Haché, Carmen Gendron et Yves Vanier • non-renouvellement de contrats • modification aux règles d'obtention de la permanence L'utilisation de ces stratégies n'est guère surprenantes. Milson et al. (1983) ont observé, dans le contexte universitaire britannique, que deux facteurs contribuent à les rendre populaires auprès des administrateurs. Premièrement, ces stratégies sont des mesures administratives faciles à implanter. Deuxièmement, elles éviteraient des conflits de travail qui susciteraient l'implantation de stratégies orientées vers le moyen ou long terme (Milson et al. 1983, p. 135). Il est possible que les dirigeants universitaires surestiment les conflits engendrés par des stratégies proactives. En effet, l'Université d'Albany n'a pas connu un conflit de travail majeur lorsqu'elle a décidé de se spécialiser dans certaines disciplines et de fermer certains programmes, ce qui a entraîné le renvoi de 88 professeurs dont 37 détenaient la permanence (Volkwein, 1984, p. 184). Cette décision faisait l'objet d'un consensus parmi cette communauté universitaire. De plus, les autorités avaient pris soin de donner un préavis d'au moins un an aux personnes affectées (Volkwein, 1984, pp. 397 et 399). Les effets à moyen et long termes de ces stratégies font l'objet d'un très fort consensus parmi nos répondants. La gestion actuelle du corps professoral favoriserait son vieillissement d'où découlerait une stagnation de la recherche universitaire au Québec affectant, par le fait même, la qualité des diplômes offerts. Cette hypothèse apparaît plausible. En effet, Soldofsky (1984) a montré que la productivité des professeurs mesurée en nombre de publications diminue de moitié entre les groupes d'âge de 3 6 - 4 0 ans et 5 0 - 6 0 ans. Over (1982) arrive à une conclusion similaire mais il spécifie que la productivité antérieure d'un professeur est un indicateur beaucoup plus fiable de sa productivité future que son âge. Certains directeurs constatent déjà des effets négatifs de ces stratégies. Pour les petits départements, la perte d'un professeur équivaut souvent à l'abandon d'un domaine d'expertise. D'autre part, le sentiment d'appartenance des jeunes professeurs à la communauté universitaire diminue: ils se ménagent des portes de sortie. Augmentation des contrôles administratifs Selon plusieurs directeurs de département, en voulant mieux contrôler leurs dépenses, les universités ont accru sensiblement leurs contrôles administratifs. L'obtention d'autorisations, les contrôles tâtillons, les démarches auprès des autorités grugent de plus en plus le temps des directeurs. Dans l'une des universités de l'échantillon, l'on interdit le transfert de fonds d'un poste budgétaire à l'autre dans le budget du département. Cette pratique n'est pas généralisée. Au moins dans une autre université, on favorise la responsabilité départementale en ce qui a trait au budget. Recherche et enseignement Dans la majorité des départements, on constate une augmentation de la tâche des 21 Austérité et gestion dans les universités québécoises: une analyse des perceptions de directeurs de départment enseignants car les budgets alloués aux auxiliaires d'enseignement ont été fortement diminués. Les directeurs y voient d'ailleurs une contradiction flagrante avec la volonté universitaire de promouvoir la recherche car du temps autrefois consacré à la recherche doit être utilisé maintenant à encadrer les étudiants et à corriger leurs travaux et examens. Selon eux, plusieurs stratégies universitaires affectent d'ailleurs la qualité de l'enseignement. Les professeurs ont dû diminuer le nombre de travaux pratiques demandés aux étudiants. La diminution du nombre de professeurs et les critères de productivité obligent à utiliser une pédagogie axée sur les cours magistraux et les grands groupes d'étudiants. Les équipements deviennent de plus en plus désuets. Enfin, les diminutions de budget empêchent d'engager le nombre de chargés de cours nécessaires, si bien que certains cours ne se donnent plus. En général, les stratégies universitaires décrites par les directeurs de départements sont des stratégies réactives. Elles visent à rencontrer à court terme les objectifs gouvernementaux sans s'inscrire dans un plan d'action à moyen ou long termes. Au mieux, elles peuvent améliorer la crédibilité des universités face au gouvernement provincial. LES STRATÉGIES DÉPARTEMENTALES Au contraire des stratégies imposées par l'université, plusieurs stratégies départementales ont un caractère plus proactif. Les stratégies départementalestouchent à quatre types d'activités: le financement, le recrutement de clientèle, l'enseignement et la recherche. Le financement Certains départements se sont limités à des stratégies que Cameron (1983) appelerait "défensives". Ils recourent à des protestations auprès des autorités universitaires et collaborent à la sensibilisation de l'opinion publique aux effets néfastes des compressions budgétaires. Dans les deux cas, la stratégie vise à accroître sa légitimité soit auprès des autorités universitaires, soit auprès du gouvernement pour obtenir des budgets plus substantiels. Cependant, plusieurs départements ont élaboré des stratégies "offensives" (Cameron 1983). Ainsi, ils produisent et vendent aux étudiants des notes de cours et des livres; ils mettent à la disposition du secteur privé les laboratoires du département; ils augmentent, enfin, les recherches commanditées par des sources extérieures à l'université. D'autres incitent les professeurs à prendre des congés sans traitement pour dégager des surplus afin de planifier à moyen terme. Enfin, quelques départements ont élaboré des stratégies innovatrices. Dans deux cas, les départements ont mis sur pied des firmes de consultation dont l'une s'adresse au grand public. Il s'agit de nouvelles activités pour ces départements. Pourtant, ils évoluent au sein de contraintes similaires aux départements qui ont utilisé des stratégies offensives. 22 Manuel Crespo, Jean B. Haché, Carmen Gendron et Yves Vanier Recrutement de clientèle Les stratégies utilisées sont très variées. Certains départements en croissance de clientèle ont relevé leurs critères de sélection ou leur contingentement. Cependant, la plupart des départements ont préféré ne pas toucher à ces critères. Par ailleurs, peu de directeurs affirment les avoir abaissé. Beaucoup de départements ont mis sur pied des horaires de cours plus flexibles pour diversifier leurs clientèles étudiantes. Un département a ouvert de nouveaux cours sur des matières en vogue chez les étudiants. Il s'agit d'une nouvelle expertise pour ce département. Ce cas est particulièrement intéressant car un département de la même discipline d'une autre université subissant les mêmes contraintes n'a pas élaboré de stratégie innovatrice comme celle-ci. L'enseignement Bon nombre de départements ont utilisé des stratégies offensives face à l'enseignement. Quelques départements en décroissance de clientèle ont aboli des programmes complets. Plusieurs départements en croissance et en décroissance de clientèle ont aboli des cours. Certains départements ont établi une rotation de cours et plus rarement on a fusionné des cours. Quelques départements en décroissance de clientèle ont mis sur pieds des certificats et un département en croissance a créé un programme de doctorat. On ne peut classifier la création de programmes comme une stratégie innovatrice car elle ne diversifie pas l'expertise du département. La recherche Peu de directeurs de départements affirment avoir une politique pour accroître la production de recherches dans leur département. Certains départements dégagent les professeurs de leur tâche d'enseignement ou la réaménagent dès qu'un des leurs obtient des fonds de recherche. Un département va même jusqu'à dégager un chercheur émérite pour plusieurs années dans le but d'améliorer l'image de marque internationale du département et favoriser l'obtention dans le futur de nouveaux fonds. Certains départements favorisent l'association de leurs professeurs avec des professeurs d'autres universités pour faciliter l'accès aux fonds de recherche. D'autres ont conclu des ententes avec des organismes de recherche nonuniversitaire prévoyant l'échange de chercheurs. Ces stratégies innovatrices pour la recherche sont l'exception à la règle. En général, les stratégies innovatrices sont plutôt exceptionnelles dans les départements. C'est souvent le même département qui utilise une stratégie innovatrice pour le financement qui en utilise une autre pour la recherche. D'ailleurs, les stratégies innovatrices sont lesplus difficiles à adopter car elles vont à l'encontre des stratégies du passé, des structures, des mythes et des idéologies d'une organisation (Miller et Friesen cité par Cameron, 1983, p. 129). Austérité et gestion dans les universités québécoises: une analyse des 23 perceptions de directeurs de départment PROSPECTIVE Les directeurs proposent une diversité de solutions, parfois contradictoires, pour surmonter à plus long terme la crise actuelle de l'enseignement supérieur. Cette diversité provient du manque de consensus sur la mission institutionnelle à privilégier. Les solutions proposées par les directeurs concernent trois secteurs d'activité des universités: la gestion, le financement, l'enseignement et la recherche. La gestion Certains directeurs proposent de réduire les structures administratives le plus possible. Ils proposent aussi de laisser les départements disposer de la masse salariale selon leurs objectifs et priorités. D'autres, au contraire, privilégient une gestion centralisée laissée aux mains de professionnels. Ils voudraient que les gestionnaires soient issus du secteur privé et bénéficient de primes à "l'efficacité". Le financement Les solutions sont fort variées. Certains proposent que les universités s'engagent dans une lutte politique avec l'État en refusant d'appliquer les compressions budgétaires. Pour d'autres, les universitaires étant des privilégiés de la société, on devrait geler les salaires des professeurs et des administrateurs, et allouer les fonds dégagés ainsi au fonctionnement des universités. On propose aussi que les honoraires professionnels accordés pour des commandites privées soient versés aux universités et non aux professeurs. Enseignement et recherche Certains directeurs de département de la région de Montréal proposent de spécialiser les universités pour éliminer les duplications de programmes entre les quatre universités de la métropole. On propose aussi de favoriser la coopération interuniversitaire pour l'engagement de professeurs et l'acquisition de livres et revues, cela pourrait même se traduire par des programmes communs comme le font les cinq universités de New York pour cinq programmes de doctorat depuis 1980-81 (Glazer, 1982, pp. 177-181) et les universités de Montréal, du Québec à Montréal et McGill pour le programme du doctorat en administration. Aux États-Unis, les formules de coopération vont encore plus loin: certains "collèges" se sont regroupés sous la même administration (Zammuto et al., 1983, p. 104). D'autres directeurs favorisent la spécialisation des universités dans les domaines d'enseignement et de recherche où elles excellent déjà pour y concentrer les ressources, et conséquemment l'abandon de certaines disciplines. Quelques directeurs affirment que l'on doit n'admettre que les étudiants les plus prometteurs car tous n'ont pas la capacité d'entreprendre des études universitaires. L'État de la Floride s'est orienté dans cette voie en relevant en 1982 la note de 24 Manuel Crespo, Jean B. Haché, Carmen Gendron et Yves Vanier passage aux tests d'admission et le nombre de cours prérequis sera augmenté à partir de 1986-87 (Newell, 1984, p. 86). On propose aussi d'augmenter les frais imposés aux étudiants pour que seuls les étudiants vraiment motivés s'engagent dans des études universitaires. 4 Mais ces solutions à plus long terme se basent, comme mentionné plus haut, sur des conceptions difficilement réconciliables de ce qu'est l'université et des objectifs qu'elle devrait poursuivre. Trois modèles de mission institutionnelle se dégagent des entrevues: l'université démocratique, l'université élitiste et l'université à l'écoute du marché. L'université démocratique Pour les tenants de l'université démocratique, les problèmes de l'éducation supérieure au Québec tiennent essentiellement à la centralisation outrancière des processus décisionnels dans les universités québécoises. Ils favorisent plutôt la participation d'un plus grand nombre d'intervenants dans les processus décisionnels. Il s'agit essentiellement de déléguer le plus de responsabilité possible aux départements où un "auto-contrôle" guiderait les co-gestionnaires dans leurs décisions. Dans ce modèle, il n'est pas question de remettre en cause l'équilibre actuel entre les sciences humaines et appliquées ou d'abolir certains départements. L'université élitiste Au contraire du modèle précédent, on postule que l'université n'est pas une institution démocratique. Elle doit devenir plutôt le creuset de l'élite de la nation. L'excellence et la qualité de l'enseignement doivent guider les décisions. Ainsi, la décroissance de la clientèle n'est pas mauvaise en soi, car il vaut mieux former peu d'excellents étudiants que de nombreux étudiants moyens. Les défenseurs de ce modèle remettent en cause certains programmes "qui n'ont pas leur place à l'université" et non les humanités peu rentables. Il faudrait donc investir massivement dans certaines disciplines pour que le Québec prenne une place de choix à l'avant-scène mondiale dans certains crénaux particuliers de recherche. Soulignons que ces investissements peuvent être considérables. Pour reconquérir son statut dans les sciences biologiques, l'Université Berkeley, par exemple, prévoit des investissements de 120 à 150 millions de dollars américains (Trow, 1983). De plus, pour devenir un pôle d'excellence, les universités doivent concurrencer le secteur privé pour attirer des chercheurs éminents en offrant des salaires comparables (voir Smith, 1984; Heyman, 1984). L'université à l'écoute du marché Ce modèle vise à rationaliser l'enseignement supérieur en abolissant certains départements. Plusieurs critères peuvent amener à cette décision: le déficit, une clientèle décroissante qui ne justifie pas le maintien d'un département ou encore la recherche qui n'a pas d'application concrète dans la société. Les perspectives 25 Austérité et gestion dans les universités québécoises: une analyse des perceptions de directeurs de départment d'emploi pour les étudiants doivent aussi guider les décisions. Les défenseurs de ce modèle favorisent donc l'abolition de plusiers départements appartenant aux humanités. CONCLUSION Les stratégies réactives découlant directement des décisions de l'administration supérieure semblent être plus importantes que celles qui résultent des choix des départements. Par ailleurs, c'est au niveau des départements que l'on retrouve les stratégies les plus proactives. Cependant, ces stratégies, principalement celles à caractère novateur, sont peu répandues. Mais leur existence porte à attribuer un rôle important au "entrepreneurship" (Peck, 1984) organisationnel dans la conversion des "contraintes" de l'environnement dans des "opportunités" pour des actions efficaces. Au-delà de ce facteur, il demeure que certaines conditions structurelles, (telle, par exemple, la demande sur le marché du type de formation dispensé) ou historiques (comme la présence d'un corps professoral plus jeune ou plus polyvalent) semblent favoriser davantage l'emergence de stratégies proactives. Ces stratégies, même les plus innovatrices, semblent être des solutions temporaires et, se situant dans un contexte global de réaction, leur utilité apparaît compromise. Les solutions envisagées pour le plus long terme sont également problématiques car, pour être efficaces, elles doivent correspondre aux objectifs privilégiés par la mission institutionnelle, mission qui ne semble pas faire objet de consensus en milieu universitaire. NOTES 1. Nous remercions les Fonds FCAR, CRSHC et le Fonds de développement de la recherche de l'Université de Montréal de leur appui financier. 2. Les interviews ont permis d'élaborer un sondage composé de deux questionnaires distincts mais complémentaires: l'un auprès de directeurs et directrices de départements, l'autre auprès de professeurs. Ce sondage vient d'être administré dans l'ensemble des universités québécoises et les taux de réponse obtenus sont satisfaisants. 3. Pour alléger le texte, le masculin sera utilisé exclusivement. Cette décision ne se veut pas discriminatoire à l'égard des directrices de département. 4. Gomme et Gilbert (1984) ont fait une proposition similaire au Canada anglais. 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