The Canadian Journal Of Higher Education, Vol. XXI-1, 1991 La revue canadienne d'enseignement supérieur, Vol. XXI-1, 1991 Les Relations Université-Entreprise entre l'Etat et le besoin MICHEL LECLERC* RÉSUMÉ La valorisation économique de la recherche universitaire est aujourd'hui au coeur des débats sur les relations entre l'université et l'entreprise. Entre la frilosité des uns et l'enthousiasme déraisonné des autres, l'Etat est amené à intervenir et s'interroge sur les motifs au nom desquels il devrait soutenir ces rapports. Quant à l ' i n d u s t r i e , en dépit d ' u n d i s c o u r s t r i o m p h a l i s t e , sa contribution au financement de la recherche universitaire est bien plus modeste qu'on l'affirme en certains milieux. L'université, prise entre ses missions anciennes et les défis nouveaux, cherche sa voie sans perdre sa raison d'être. Trois priorités paraissent toutefois s'imposer: la diffusion et le transfert des connaissances, le soutien à la recherche fondamentale et la formation des compétences. ABSTRACT Enhancing the economic value of research lies at the centre of the debate on relations between universities and the private sector. The State, torn between the irresolute attitude of some and the blind enthusiasm of others, has to ponder and provide good reasons to support such relations. In spite of its exultant rhetoric, the actual contribution of private industry to the financing of academic research is much lower than claimed in some circles. Universities, caught in a conflict between their traditional mandate and the new challenges they face, are trying to meet these challenges without losing their raison d'être. Three priorities seem to emerge from the debate: the diffusion and transfer of knowledge, support of basic research and professional training. Introduction Nul doute que l'accroissement de la valeur commerciale des connaissances scientifiques explique en bonne partie l'implication grandissante de l'industrie dans la recherche. L'édification d'un système de connaissances structuré, le p h é n o m è n e est d é s o r m a i s bien c o n n u , c o n s t i t u e un f a c t e u r vital de développement des entreprises. Les entreprises ont donc été amenées a créer des * L'auteur est analyste à la Direction des politiques et des priorités scientifiques au Ministère de l'Enseignement supérieur et de la Science (Québec) 55 Les Relations Université-Entreprise entre l'État et le besoin mécanismes internes leur permettant d'acquérir les connaissances produites à l'extérieur. Dans ce contexte de valorisation économique des connaissances, les relations université-enterprise sont apparues comme une moyen privilégié de maximiser les apports de la science et de la technologie au développement économique. Dans les industries à base intensive de connaissances, les relations avec l'université sont considérées non seulement comme souhaitables, mais surtout comme un moyen essentiel de rapprochement avec les producteurs de savoirs nouveaux, aussi bien pour repérer à la source le personnel hautement qualifié nécessaire à leur développement dans un contexte de concurrence extrême, que pour réduire les délais qui séparent la recherche à caractère fondamental de ses applications pratiques. Aux États-Unis, par exemple, où s ' o b s e r v e depuis l ' a p r è s - g u e r r e un foisonnement inégalé d'initiatives associant l'université et l'entreprise, certaines entreprises ont créé des postes de vice-président aux relations avec les universités.' L'université est donc appelée, de plus en plus, à répondre à cette demande de l'industrie. Selon un récent rapport de l'OCDE, "ce renforcement de la demande découle essentiellement de l'augmentation des besoins en connaissances scientifiques pour élaborer des technologies de pointe et des besoins en service d'enseignement et de formation connexes et pour appliquer ces technologies dans le commerce et l'industrie". 2 Les liaisons université-entreprise en matière de recherche sont d'abord considérées sous leur aspect économique. Pour le gouvernement américain cette forme de coopération a principalement été conçue comme un moyen prioritaire de préserver la compétitivité de l'économie nationale. 3 Par ailleurs, de plus en plus de dirigeants politiques estiment que les résultats de la recherche universitaire n'ont de valeur économique q u ' à la condition expresse qu'ils soient systématiquement mis en marché. 4 La contribution de la recherche universitaire aux besoins économiques de la société n'est cependant pas sans limites. On ne peut pourtant en faire l'économie, ni au nom des obstacles anticipés ni, le cas échéant, au nom de conceptions que l'on imagine, à tort ou à raison, inconciliables. La valorisation économique et industrielle de la recherche universitaire est désormais au coeur des débats sur les relations entre l'enseignement supérieur et l'entreprise. Cette question, on l'a maintes fois constaté, implique que l'on s ' e n t e n d e sur la f a ç o n de mesurer cette valeur, sur l ' i m p o r t a n c e , pour l'université et pour ses politiques de recherche, de la valeur marchande de ses réalisations, sur les limites de l'intégration de la recherche universitaire aux 56 Michel Ledere besoins économiques et sociaux, sur le rôle de l'État dans la définition de la juste place de l'université entre sa mission fondamentale et les retombées économiques de ses recherches. Aucun pays ne se prive désormais de soutenir les relations entre l'université et l'entreprise. Le plus récent rapport de l'OCDE sur ce sujet fait explicitement état "qu'il s'agit d'un élément clé du développement technologique, et dans de nombreux pays le renforcement de ces relations est un objectif prioritaire des politiques nationales de R-D." 5 Au Québec, les réorientations successives de la politique provinciale, aussi bien que de la politique fédérale canadienne, ont fait passer la contribution universitaire d'un rôle principalement culturel à un rôle progressivement plus économique, et les universités, plus particulièrement, sont appelées à devenir un bassin de main-d'oeuvre hautement spécialisée et de connaissances susceptibles d'engendrer l'innovation industrielle. 2. Rapports institutionnels ou stratégiques? Les relations université-entreprise ne sont pas inspirées exclusivement par des considérations étroitement économiques, même lorsque celles-ci semblent prédominer. Sous bien des aspects, ces relations répondent à la nécessité de redéfinir l'organisation interne du système de la recherche, de façon à trouver les combinaisons les plus aptes à briser les cloisonnements actuels entre les milieux de la recherche. Faute de créer entre eux un véritable réseau d'alliance stratégique, l'université et l'industrie risquent de s'affaiblir, l'une et l'autre devenant prisonnières de leurs propres retranchements. Les relations université-entreprise ne sont pas une mode passagère née de pressions politiques ou idéologiques. Bien entendu, leur popularité a donné lieu parfois à des initiatives précipitées, ainsi qu'à des imitations trop rigides. Mais ce serait un raisonnement à courte vue que de voir dans l'engouement qu'elles ont s u s c i t é a u p r è s des p o u v o i r s p u b l i c s , la s e u l e m a n i f e s t a t i o n d ' u n empressement aveugle à créer à tout prix de nouveaux modèles politiques de l'innovation. En réalité, les relations université-entreprise sont devenues, dans tous les pays industrialisés, un e n j e u prioritaire de la politique s c i e n t i f i q u e et technologique. Au-delà des motivations purement financières, cette évolution procède de la conviction que les effets d'essaimages entre les milieux de la recherche sont une condition nécessaire au renforcement de la compétitivité et qu'ils doivent par conséquent s'accompagner de structures plus interactives de coopération. 57 Les Relations Université-Entreprise entre l'État et le besoin Etat de la situation Les entreprises canadiennes et québécoises, plus que celles des autres pays, dépendent davantage de l'université pour effectuer de la R-D, parce qu'elles manquent elles-mêmes de ressources en ce domaine. Une telle évolution s ' a c c o r d e d i f f i c i l e m e n t a v e c la m i s s i o n u n i v e r s i t a i r e f o n d a m e n t a l e d'avancement des connaissances et de formation des chercheurs. De plus, les entreprises non seulement sont mal pourvues en matière de R-D, mais aussi m a n q u e n t en général du p e r s o n n e l s c i e n t i f i q u e n é c e s s a i r e à la pleine exploitation de la recherche universitaire. Q u a n t aux e f f e t s s t r u c t u r a n t s de la p o l i t i q u e a c t u e l l e de r e c h e r c h e u n i v e r s i t a i r e , ils sont b e a u c o u p plus i m p o r t a n t s que les m o d e s t e s investissements des entreprises. En effet, les subventions de l'État sont presque toutes accordées dans le cadre d ' u n e collaboration avec l'industrie. Mais l'efficacité d'une telle politique est mise en doute. Dans un avis sur la politique des subventions fédérales de contrepartie, le Conseil de la science et de la technologie du Québec signalait à ce propos que "si une augmentation de l'implication du secteur privé dans la recherche universitaire peut freiner d'une certaine façon l'érosion de la base de recherche au Québec, on ne peut s'attendre à ce que de telles mesures modifient fondamentalement la répartition des sources de financement de la recherche universitaire" 6 . Aussi bien, en ce qui a trait aux centres d'excellence, le critère de compétitivité de l'industrie et l'obligation pour les entreprises de participer à la création de réseaux de chercheurs ont eu pour conséquence de tenir à l'écart certains des meilleurs d'entre eux, insuffisamment versés en recherche appliquée. Ce programme a aussi pour effet de favoriser davantage les projets à court terme, produisant les innovations technologiques les plus immédiatement accessibles pour les entreprises. Enfin, la création de centres de recherche autonomes qui doit découler du programme risque non seulement de dégager quelques-uns des meilleurs chercheurs de toute responsabilité d'enseignement, mais surtout de subordonner davantage leurs travaux aux seuls intérêts de l'entreprise. 1. Le financement privé de la recherche universitaire. Dans la plupart des pays industrialisés, l'aide privée à la R-D universitaire a connu une forte expansion au cours de la dernière décennie. Aux États-Unis, entre 1980 et 1985, le taux annuel de croissance du financement industriel de la recherche universitaire a été de 9,4% en dollars constants et de 15,6% en valeur nominale. Dans certaines disciplines comme l'ingénierie et l'informatique ce taux a parfois été deux fois plus élevé. 7 En dépit de cette croissance des revenus 58 Michel Ledere de sources privées, la part de l'industrie dans le financement de la recherche universitaire ne dépassait pas 6,6% en 1989.8 Au Royaume-Uni, où la part du f i n a n c e m e n t privé dans les s u b v e n t i o n s totales versées à la r e c h e r c h e universitaire atteignait plus de 10% des revenus totaux en 19849, le programme LINK lancé en 1986 dans le but d'associer étroitement l'État, l'industrie et les universités dans la réalisation de recherches prioritaires, a nécessité une participation financière du gouvernement équivalente à 50% des 103 millions de livres investis dans les huit projets en cours. Au Canada, la part du financement privé de la recherche universitaire représentait 9,3% en 1988, comparativement à 7,9% selon les estimations de 1987. Une économie "dominée" et "semi-industrielle", ainsi qu'on a souvent décrit l'économie du Canada 10 , peut-elle engendrer un soutien industriel à la RD universitaire supérieur à celui de la première puissance é c o n o m i q u e mondiale? Cela parait peu probable, et en tout cas peu conforme aux résultats des comparaisons internationales sur le sujet 11 . Il n'est pas aisé de distinguer ce qui, dans cette croissance, est attribuable au nouveau mode de calcul adopté en 1987 par S t a t i s t i q u e C a n a d a et ce qui r e f l è t e l ' é v o l u t i o n v é r i t a b l e du f i n a n c e m e n t industriel. Aussi, a v o n s - n o u s j u g é nécessaire d ' é v a l u e r la contribution de l'entreprise au financement de la recherche universitaire à partir d'une série plus large d'indicateurs qui atténuerait, au moins en partie, les variations statistiques attribuables à des changements apportés à la procédure habituelle de calcul. Le Tableau 1, qui illustre l'évolution du financement industriel de la R-D universitaire au Canada, autorise à soutenir trois conclusions principales: 1. depuis 1979, la croissance du financement industriel augmente en proportion des sources de financement public; 2. la part du financement de la R-D universitaire attribuable au secteur industriel est resté pratiquement stationnaire entre 1979 et 1988 en comparaison des dépenses de R-D de l'entreprise; 3. entre 1979 et 1988, la c r o i s s a n c e du f i n a n c e m e n t industriel de la R - D universitaire a progressé de moins de 1% en proportion du financement industriel de la R-D. On observera aussi (Tableaux 2 et 3) que c'est au Québec que l'effort réel de financement industriel a crû le plus rapidement en valeur relative au cours de cette décennie, passant de 4,0% de l'effort financier des entreprises en 1979 à 5,3% en 1988; en revanche, en Ontario le niveau réel de financement industriel a crû de 0,8% seulement. En somme, partout au Canada, la croissance du financement privé de la R-D universitaire s'est traduit par une hausse marginale du fardeau financier des entreprises. Est-il nécessaire d'ajouter que les bénéfices matériels et immatériels issus du 59 Les Relations Université-Entreprise entre l'État et le besoin Tableau 1 Évolution du financement industriel (FI) de la recherche universitaire au Canada selon divers indicateurs. 1979-1988 1979 1981 1983 1985 1987 1988 R-D universitaire (RDU) en M $* 606 797 971 1,525 1,720 1,880 FI en % de la RDU* 7,9 8,0 7,7 6,7 7,9 9,3 4,3 3,5 4,0 3,7 4,3 5,2 3,8 3,0 2,9 2,8 3,2 3,9 % de l'effort financier des entreprises** % de la R-D industrielle** % du financement gouvernemental 18,1 15,7 14,2 14,2 17,5 19,7 * SNG et SSH ** De 1979 à 1983, SNG seulement Sources: Statistique Canada, Les estimations des dépenses canadiennes au titre de la recherche et du développement (DIRD) national, de 1963 à 1990 et par province de 1979 à 1988. Ottawa, 1990. ne sont pas uniformément diffusés à l'intérieur rapprochement avec août, l'industrie et entre les universités? En décembre 1987, le Rapport Lortie remis au Comité consultatif national sur la science et la technologie estimait en effet à 10% seulement la proportion des chercheurs universitaires susceptibles de nouer des relations avec le secteur privé 12 . En ce qui a trait au financement de la recherche universitaire, les relations avec l'industrie contribuent à renforcer davantage les inégalités économiques entre les disciplines. L'industrie, d'abord appliquée à capturer à ses propres fins les bénéfices de la recherche, cherchera à spécifier son aide et soutiendra la recherche finalisée au détriment de la recherche plus fondamentale. On assistera donc à une concentration extrême du financement privé, les programmes d'ingénierie, de médecine et d'agriculture attirant vers eux, selon certaines enquêtes américaines, 86% des ressources 13 . Au Canada, en 1984, 60% du f i n a n c e m e n t industriel de la recherche universitaire était attribué à des 60 Michel Ledere disciplines relevant des sciences naturelles et du génie 14 . Au Québec, selon les chiffres de 1988, le financement industriel de la recherche universitaire était prioritairement dirigé vers les sciences de la santé (36,8%), les sciences appliquées (28,1%) et les sciences pures (19,7%) 15 . Tableau 2 Évolution du financement industriel (FI) de la recherche universitaire en Ontario selon certains indicateurs. 1979-1988 1979 1981 1983 1985 1987 1988 R-D universitaire (RDU) en M$* 230 299 381 618 710 781 FI en % de la RDU* 9,6 10,7 9,2 8,0 8,7 10,2 % de l'effort financier des entreprises** 3,6 3,3 3,2 3,5 4,4 3,1 % de la R-D industrielle** 3,3 2,8 2,3 2,5 2,1 3,1 % du financement gouvernemental 21,4 20,4 17,6 18,9 22,1 24,8 * SNG et SSH ** De 1979 à 1983, SNG seulement Sources: Statistique Canada, Les estimations des dépenses canadiennes au titre de la recherche et du développement (DIRD) nationale, 1963 à 1989 et par province de 1979 à 1988. Ottawa, août, 1990. Tableau 3 Évolution du financement industriel (FI) de la recherche universitaire au Québec selon divers indicateurs. 1979-1988* 1979 1981 1983 1985 1987 1988 R-D universitaire (RDU) en M$ 150 195 216 344 390 437 FI en % de la RDU 7,3 7,7 9,7 7,0 11,4 10,0 En % de l'effort financier des entreprises 4,0 3,8 4,7 3,4 4,5 5,3 En % de la R-D industrielle 3,5 3,6 2,8 3,5 4,3 3,1 En % du financement gouvernemental 15,3 15,2 14,3 12,1 16,3 19,2 * SNG et SSH ** De 1979 à 1983, SNG seulement Sources: Statistique Canada, Les estimations des dépenses canadiennes au titre de la recherche et du développement (DIRD) nationale, 1963 à 1989 et par province de 1979 à 1988. Ottawa, août, 1990. 61 Les Relations Université-Entreprise entre l'État et le besoin 2. Le rôle des acteurs A. L'État Tant au Canada qu'au Québec, les pouvoirs publics s'efforcent de lier toute augmentation du volume de leurs aides à la recherche universitaire à la promesse d'un engagement financier du secteur privé. En vertu de cette règle, mais aussi en raison des soutiens indirects qu'ils apportent par ailleurs aux industries dans le cadre de leurs relations avec l'université, les gouvernements sont devenus les principaux bailleurs de fonds des relations universitéentreprise. Autrement dit, le financement privé de la R-D universitaire ressort de plus en plus à la charge de la puissance publique. On ne saurait évidemment reprocher à l'entreprise de profiter des avantages que lui consent l'État. Mais on ne peut s'empêcher de constater que, dans ce contexte, l'État risque d'encourager ainsi le transfert vers l'université d'une partie de la recherche industrielle, sans posséder aucunement l'assurance que son soutien financier engendre une dépense équivalente de l ' i n d u s t r i e . L'industrie ne répond pas toujours avec suffisamment d'empressement aux invitations à c o l l a b o r e r qui lui p r o v i e n n e n t des p o u v o i r s publics. Les désappointements navrés, d'où qu'ils viennent, ne constituent évidemment pas l'assise idéale d'une politique publique déterminée à multiplier les occasions de rapprochement entre l'université et l'industrie. Assurément, la tâche n'est pas facile pour l'État, écartelé entre des demandes divergentes, voire irréconciliables. Mais à s'en tenir aux seules raisons des uns ou des autres, l'État négligerait de prendre en considération son rôle propre qui consiste à connecter aux besoins de l'industrie un savoir-faire institutionnel qui n'est pas spontanément tourné vers elle et dont l'industrie ne sait pas toujours que faire. Par ailleurs, l'État ferait fausse route en cherchant à soutenir à tout prix, et parfois contre leur gré, des relations plus étroites entre les milieux de la recherche. Aucune mesure gouvernementale ne peut bien sûr prétendre venir à bout de tous les butoirs: m é f i a n c e réciproque des acteurs, m é c o n n a i s s a n c e des partenaires, incompréhension des besoins singuliers de chacun, éthiques scientifiques incompatibles, etc. Les relations université-industrie sont un nouveau domaine de responsabilité gouvernementale, ce qui explique qu'en ce domaine l'État semble parfois improviser ses initiatives et ses solutions. Mais cette perplexité ne vient-elle pas, au moins partiellement, du fait que limitées aux seuls acteurs que sont l'université et l'entreprise, ces relations débordent l ' e n j e u de ses acteurs 62 Michel Ledere immédiats et qu'elles mettent aussi en cause le rôle de l'État? Aussi bien, les stratégies gouvernementales gagneraient-elles à être mieux circonscrites. À l'État d'inciter, d'orienter et de fixer les évaluations à mener; à l'université et à l'industrie d'intervenir sur ce qu'elles auront ensemble défini comme leurs projets communs. On continue de s'interroger sur les motifs au nom desquels l'État devrait soutenir les relations université-industrie. Au nombre de ces motifs figure certainement au premier rang la volonté de favoriser le transfert, dans tous les sens, des connaissances et des savoir-faire fondamentaux. Le rôle des pouvoirs publics ne consiste évidemment pas à se substituer à l'effort des acteurs en présence, et l'Etat n'y prétend d'ailleurs pas. Mais il consiste assurément à appuyer des rapports nés des besoins des milieux de la recherche. Ce rôle de concertation stratégique, seul l'État est en mesure de l'assumer efficacement et légitimement. B. L'entreprise L'enthousiasme politique manifesté à l'égard des relations université-industrie ne doit pas faire oublier le découplage persistant entre le discours officiel de l'industrie et une attitude qui, elle, demeure toujours velléitaire. Dans tous les pays de la zone OCDE, on l'a vu, le financement privé de la recherche universitaire reste quantitativement un phénomène marginal en regard des autres sources de financement. Nombreux pourtant sont ceux qui estiment que le poids de son influence serait disproportionné par rapport au niveau réel de son aide financière. La frilosité des entreprises québécoises à nouer des liens avec l'université est c o n f i r m é e par tous les indicateurs habituels. Le p r o g r a m m e fédéral de f i n a n c e m e n t de c o n t r e p a r t i e est q u a n t à lui e x t r ê m e n t r é v é l a t e u r de l'insuffisance de financement privé au Québec. En 1986-1987, en effet, les universités du Québec ont récolté 16,4 millions de dollars dans le cadre de ce programme, soit 22% seulement des crédits totaux attribués dans le domaine des sciences naturelles et du génie, comparativement à 54% dans le cas des universités ontariennes. Pire encore, c'est au Québec que le financement de source industrielle a enregistré le taux le plus bas parmi les provinces canadiennes, soit 39%. En somme, plus de 60% des fonds obtenus dans le cadre du programme de contrepartie ont été versés aux universités québécoises par des sociétés d'État ou des fondations privées à but non lucratif plutôt que par des entreprises proprement dites. Les mécomptes du financement privé de la recherche universitaire au Québec ont sans doute des origines multiples. Quelles qu'aient été récemment les 63 Les Relations Université-Entreprise entre l'État et le besoin raisons, elles mettent toutes en cause l'aptitude du réseau universitaire québécois à recueillir des fonds privés aux fins de la recherche. Ici comme ailleurs, sinon plus qu'ailleurs, c'est d'abord l'université et non l'entreprise qui demande des liaisons nouvelles. Une enquête de la National Science Foundation a montré en effet que dans 67% des cas ce sont les universités qui ont eu l'initiative des rapports avec l'industrie. Quant aux entreprises, lorsqu'elles sont à l'origine du rapprochement, elles cherchent en priorité à soutenir la recherche coopérative (52%) bien plus que les mécanismes de transfert de connaissances et de technologies (22%) ou, le cas échéant, la recherche libre (25%) 16 . La structure industrielle du Québec, caractérisée notamment par la rareté des industries à base intensive de connaissances, est certainement un frein important à l'instauration de liens profitables avec l'université- Les chiffres de 1984 révèlent en effet que la part des dépenses de R-D des industries de haute technologie, en proportion de la valeur ajoutée industrielle, se situait à 13, 2% au Québec, comparativement à 15,6% au Canada et 20% en Ontario 17 . Pour l'ensemble des secteurs de la fabrication et des services, l'intensité de R-D des entreprises manufacturières du Québec équivalait à 3,65% de leur valeur ajoutée en 1987, comparativement à 4,02% pour leurs homologues de l'Ontario. Certaines provinces canadiennes étant bien moins pourvues que lé Québec à cet égard, on voit mal pourtant comment ce phénomène pourrait expliquer à lui seul les insuccès des universités québécoises au programme fédéral de contrepartie. Il est clair que des facteurs culturels interfèrent dans la propension des industries québécoises à tenter des rapprochements avec l'université. Trop obnubilée par des préoccupations à court terme, peu ouverte à l'innovation comme à sa diffusion, souvent trop encline à interpréter les soubresauts économiques passés et présents comme de simples difficultés conjoncturelles, alors qu'ils sont en fait des manifestations tangibles de l'émergence d ' u n nouveau système technique fondé sur le capital intellectuel, l'industrie québécoise a le plus souvent perdu de vue que la recherche et les innovations qui s'ensuivent sont l'impératif premier d'une industrie concurrentielle. C. L'université Il ne faut pas se le cacher, l'attitude chagrine de certains milieux universitaires n'est pas exempte d'un certain puritanisme à l'endroit de ce qui est parfois perçu comme un détournement de la mission traditionnelle de l'université à des fins jugées trop étroitement économiques. L'heure n'est-elle pas venue pour l'université de cesser de nourrir les images d'Epinal qu'elle entretient vis-à-vis 64 Michel Ledere son indépendance et son rôle? L'université n'est pas libre vis-à-vis de l'Etat. En réalité, l'idéologie qui justifie la décision publique d'allocation à l'université est celle due rapport Bush (The Endless Frontier). Selon cette conception, la c o n t r i b u t i o n de l ' u n i v e r s i t é à l ' é c o n o m i e se limiterait à la p r o d u c t i o n désintéressée de connaissances dont les retombées pratiques seraient aussi automatiques qu'aléatoires. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les intérêts de l'Etat et des chercheurs universitaires en sont venus peu à peu à s'accorder, au point de coïncider véritablement. L'indépendance de l'université repose depuis 1945 sur cette convergence historique d'intérêts dont la théorie du "facteur résiduel" fut en quelque sorte l'emblème épistémique. L'économie de la recherche a fait voler en éclats cette conception trop confortable et les politiques scientifiques se sont mises à vouloir associer plus directement la recherche universitaire au développement économique. Il est vrai qu'à certains égards le rapprochement avec l'industrie met à rude épreuve l'idéal mertonien d'universalisme, de solidarité et de désintéressement qui constitue encore aujourd'hui le credo officiel de l'université. Mais si, comme l'a observé le professeur Cari Kaysen du MIT, l'université a su résister j u s q u ' à ce jour aux pressions multiples et soutenues de l'État, comment imaginer qu'elle ne serait pas aussi en mesure de se prémunir à l'avenir contre les pressions somme toutes moins exigantes du financement industriel l8 . Au fur et à mesure que les revenus de source gouvernementale se sont taris, on a vu l'université chercher progressivement du côté de l'entreprise les revenus qui combleraient, au moins en partie, les reculs financiers gouvernementaux. Ce sont à n ' e n pas douter des motifs financiers plus qu'idéologiques qui ont conduit les universités à chercher auprès d'un tiers un appui que l'État était seul, traditionnellement, à fournir. Or nous savons depuis que le financement privé n'est pas appelé à se substituer à l'aide publique, mais à s'y ajouter ou, le cas échéant, à y suppléer momentanément d'autant que le financement privé sera toujours plus vulnérable aux aléas du moment que le financement public. Par ailleurs, les choix de l'entreprise continueront vraisemblablement d'être i n s p i r é s par des p r é o c c u p a t i o n s m o i n s l a r g e s , qui ne p r e n d r o n t pas nécessairement en compte l'intérêt collectif. Or l'université a pour mission de mener la recherche sur tous les fronts du savoir, indépendamment de la rentabilité présumée de chacun d'eux. Il n'y a pas à attendre de l'entreprise privée qu'elle se plie à des ambitions dont les finalités lui resteraient obscures, ni qu'elle soit indifférente aux résultats. C'est pourquoi la coopération avec l'industrie ne doit pas d'abord être considérée sous l'angle du financement, mais plutôt sous celui du "partenariat stratégique"19 qui met en rapport la quête désintéressée du savoir et le souci de résultats pratiques. 65 Les Relations Université-Entreprise entre l'État et le besoin L'université doit se dégager d'une conception trop rigide ou trop défensive de sa mission traditionnelle et consentir à faire l'apprentissage d'un modèle plus utilitariste et pragmatique. Il ne s'agit pas de minimiser la difficulté d'un tel recentrage, d'autant plus que l'université doit simultanément garder en vue le long terme. Mais voilà, l'université ne peut rester en retrait de l'évolution du système technique, sous peine de perdre à la fois son influence et une partie de sa raison d'être. Les nouveaux développements: définition des enjeux Il est incontestable que la situation des relations université-entreprise s'est considérablement améliorée aux cours de la dernière décennie: foison de programmes publics incitatifs, aides indirectes variées, multiplication des ententes de recherche coopérative, contacts plus fréquents entre les milieux de la recherche et, surtout, intérêt plus vif de part et d'autre à s'engager dans des projets communs de grande envergure. Faut-il en conclure que toutes les difficultés qui ont marqué l'évolution récente des relations université-entreprise ont été une à une surmontées? Loin de là, et ce n'est pas s'appesantir sur nos déboires que de reconnaître qu'en dépit des réels progrès réalisés, nous ne savons pas encore avec certitude quelles sont les actions à mener de préférence à d'autres, ni dans quel cadre et sous quelles conditions elles devraient être encouragées par l'État, par l'entreprise ou par l'université. Cette incertitude, sans compter les tâtonnements qu'elle implique, en dit long sur l ' a m p l e u r de la r é f l e x i o n à p o u r s u i v r e et m o n t r e c o m b i e n il est indispensable de ne pas renoncer à fixer aux relations université-entreprise des priorités qui auront préalablement été définies par chacun des acteurs. Au nombre des priorités nécessaires, trois d'entre elles paraissent aujourd'hui s'imposer davantage: la diffusion et le transfert des connaissances, le soutien à la recherche fondamentale et la formation des compétences. 1. La diffusion des connaissances Le sort des connaissances nouvelles acquises dans le cadre des relations entre l'université et l'entreprise est au centre des difficultés qui font obstacle à la multiplication de contacts permanents entre les milieux de la recherche. La persistance de ce problème provient sans nul doute des rigidités culturelles propres à chacun des partenaires. Pour l'entreprise, en effet, la connaissance poursuivie pour elle-même ne constitue pas une finalité suffisante à l'action et 66 Michel Ledere elle est d ' a b o r d considérée c o m m e un outil productif. Le stockage des connaissances et la protection par brevet caractérisent donc son attitude par rapport au savoir. En revanche, l'université est avide de diffuser, en dehors de toutes e n t r a v e s , l ' e n s e m b l e des savoirs n o u v e a u x q u ' e l l e produit. Le déterminisme de la connaissance est dans son cas un levier immanquablement suffisant. Les relations université-entreprise sont par conséquent subordonnées à deux logiques de fonctionnement contradictoires: l'une, exclusivement tournée vers la privatisation des résultats de la recherche; l'autre, essentiellement préoccupée par l'essaimage de ses découvertes. Comment faire en sorte, dans ce contexte, que les exigences de l'entreprise n'aboutissent pas à lui garantir une protection démesurée aux dépens des intérêts de l'université? Le libre échange des informations scientifiques est un prérequis à tout projet d'innovation. Or l'efficience économique de l'innovation, notamment sur la productivité des entreprises, risque d'être sérieusement limitée si la diffusion et le t r a n s f e r t de la t e c h n o l o g i e sont e n t r a v é s par des c o m p o r t e m e n t s institutionnels qui constituent autant de barrières à leur dissémination. 2. Le soutien à recherche fondamentale C'est dans le soutien à apporter à la recherche fondamentale que les relations université-entreprise paraissent les plus susceptibles de contribuer efficacement à la diffusion et au transfert des connaissances. Sous la poussée des nouvelles technologies, la recherche fondamentale a en quelque sorte contribué à redéfinir les rôles entre l'université et l'entreprise: l'université n'est pas sous la tutelle de l'entreprise; l'entreprise n'est pas au service de l'université. L'une et l'autre, en réalité, sont en étroite relation de dépendance et se renforcent ou s'affaiblissent mutuellement au gré de leurs décisions. S'il est exact que la science s'applique à l'industrie, il est juste d'ajouter que l'industrie, de plus en plus, s'applique à la science. Les p r o g r a m m e s p u b l i c s visant à f a v o r i s e r le r a p p r o c h e m e n t entre l'université et l'entreprise ont dûment axé leurs mesures de soutien vers les nouvelles technologies. Cette orientation ne semble d'ailleurs pas devoir être révisée au cours des prochaines années. Ce choix politique est une réponse adéquate aux enjeux qui a u j o u r d ' h u i prennent forme, car les nouvelles technologies sont en effet issues de la recherche la plus fondamentale et c'est vers elle, plutôt que vers la recherche appliquée dont l'entreprise peut mieux que l'université s'acquitter, que doivent prioritairement s'orienter les relations université-entreprise. 67 Les Relations Université-Entreprise entre l'État et le besoin Les exemples sont nombreux qui illustrent la proximité nouvelle de la recherche fondamentale et de ses applications. L'informatique n'est-elle pas issue de la physique des électrons et des travaux mathématiques de Von Neumann? Les nouveaux matériaux ne sont-ils pas le résultat d'une stratégie de recherche qui a mis en étroit contact les universités, l'entreprise et les pouvoirs publics? Les biotechnologies ne sont-elles pas apparues directement dans les laboratoires universitaires et leur acte de naissance n'est-il pas à chercher du côté de l'effort de R-D réalisé en génétique moléculaire à la suite des travaux d'Avery en 1944 sur la structure de l'ADN? Il est naturel que l'entreprise soit hésitante à financer des projets de recherche fondamentale dont les bénéfices seront largement indivisibles et qui, par conséquent, feront l'objet d ' u n e appropriation par l'ensemble des firmes. L ' e x e m p l e américain montre qu'il n'est pas illusoire d ' e s p é r e r associer l'entreprise, en particulier les firmes des secteurs de la haute technologie, à des projets qui, en apparence, ne profitent pas immédiatement et exclusivement à l'entreprise responsable de leur financement. Quoiqu'il advienne, en effet, la réalisation de telles ententes répond à une demande insistante de l'industrie: former des compétences adaptées aux exigences du travail et capables de relever les défis de la concurrence. 3. La formation des compétences Le diagnostic est maintenant connu: l'insuffisance de personnel qualifié est l'un des principaux facteurs qui ralentissent la diffusion des technologies nouvelles. À quoi bon, en effet, se fixer des objectifs volontaristes, notamment en ce qui a trait au niveau optimal de l'effort national de R-D, si les ressources humaines sont insuffisantes ou, le cas échéant, inadaptées aux besoins? Les relations université-entreprise constituent une solution particulièrement avisée à ce souci d'accorder les moyens à leurs fins, puisqu'elles répondent à la fois aux demandes pressantes de l'industrie en faveur d'une main-d'oeuvre informée de ses besoins, ainsi qu'à l'une des missions premières de l'université qui consiste à fournir les connaissances fondamentales dont les technologies nouvelles se nourrissent. En effet, le débat sur l'innovation renvoie aux dimensions sociales de la technique. On n'aura rien compris à l'innovation si l'on persiste à n'y voir qu'une avancée technique plus ou moins détachée des anciens savoir-faire. En f a i t , l ' i n n o v a t i o n est é g a l e m e n t un p r o c e s s u s social qui, l o r s q u ' i l est suffisamment marqué par des ruptures décisives vis-à-vis un système technique, comme c'est actuellement le cas dans les technologies de l'information, perturbe 68 Michel Ledere les r a p p o r t s s o c i a u x du t r a v a i l , de la f o r m a t i o n , de la r e c h e r c h e , de l'organisation et de la production. Les changements techniques sont introduits à travers des mécanismes d'adaptation institutionnels dont la conception relève de compétences plus larges que celles définies par les seules technologies. Les nouvelles technologies nous enseignent qu'il ne suffit pas de former les c h e r c h e u r s r e q u i s par le d é v e l o p p e m e n t t e c h n o l o g i q u e p o u r p r o f i t e r efficacement des bienfaits de l'innovation, mais qu'il est également nécessaire de d i s p o s e r de l ' e n s e m b l e des s p é c i a l i s t e s d o n t d é p e n d la d i f f u s i o n technologique et sociale des nouvelles technologies. Sans d'importantes adaptations institutionnelles, il n'y a pas à attendre des nouvelles technologies des gains de productivité substantiels. Or c'est de l'usage que nous saurons faire des sciences sociales et humaines que dépend dans une large mesure la régulation sociale du changement technologique. Il va de soi que les relations université-entreprise doivent devenir le lieu privilégié de cette mise à l'essai des sciences sociales et humaines dans l'entreprise. Faute d'accomplir cet exercice, il est réaliste de croire que l'industrie ne sera pas en mesure de d i f f u s e r adéquatement, à l'intérieur comme au dehors de ses structures, les innovations dont dépend sa compétitivité. Il ne s'agit pas seulement, en matière de formation spécialisée, de parer au plus pressé pour rejoindre ses concurrents plus avancés, mais d'éviter de favoriser indûment, sinon aveuglément, les nouveaux champs de connaissance et de créer ainsi des blocages irréversibles face à l'avenir. L'innovation technique, faut-il le redire, se nourrit d'une multitude de savoirs qui sont apparemment sans rapport avec elle. CONCLUSION Les relations université-entreprise constituent une nouvelle manière d'associer la recherche fondamentale à l'innovation technique. Elles représentent en outre une réponse sociale au processus qui mène, par des voies que nous savons maintenant aussi nombreuses que complexes, à l'innovation et à sa diffusion. A ce titre, elles perturbent les arrangements coutumiers entre l'université et l'entreprise. Pour l'université, elles sont un moyen de réaliser pleinement l'une de ses missions: accorder l'offre de main-d'oeuvre aux besoins réels des utilisateurs. Pour l'industrie, les relations avec l'université sont l'occasion de s'associer à la r e c h e r c h e en train de se faire, dont dépend dans une large m e s u r e les innovations futures. Quant à l'État, il a tout intérêt à favoriser les effets interactifs. Les relations université-entreprise lui fournissent une raison de 69 Les Relations Université-Entreprise entre l'État et le besoin continuer à soutenir l'offre de main-d'oeuvre, tout en encourageant par ailleurs, au moyen de programmes adaptés, une meilleure connexion avec la demande d ' a u t a n t plus que les pouvoirs publics sont m a i n t e n a n t c o n s c i e n t s que l'université constitue l'un des éléments de la compétitivité structurelle d'une économie. La difficulté à concevoir des programmes véritablement adaptés et efficaces provient d'une absence d'unité de vue entre les acteurs. Les tenants d'une ouverture à tout prix de l'université aux besoins exclusifs et les plus immédiats de l'entreprise, conçoivent les rapports entre l'université et l'entreprise comme de simples rapports fonctionnels, destinés à servir de support aux ambitions utilitaristes les plus diverses. À l'inverse, les tenants d'une fermeture relative de l'université aux requêtes jugées trop étroitement économiques de l'industrie, voient dans ces relations un moyen de faire prédominer les intérêts de l'industrie au détriment de la mission traditionnelle de l'université. L'une et l'autre de ces conceptions constituent une entrave à des relations harmonieuses entre des acteurs qui, tôt ou tard, sous la pression conjuguée des changements techniques et sociaux, auront à coopérer pour préserver leur compétitivité menacée. Si l'État est ici légitimement amené à s'interférer entre les acteurs, c'est d ' a b o r d parce qu'il peut avantageusement contribuer à l'atténuation des obstacles et des oppositions. A cet égard, une politique bien conçue des rapports entre l'université et l'industrie consisterait peut-être à intégrer dans une vue commune les intentions spécifiques des uns et des autres. Certes, en matière d'innovation, il n'existe pas de résultats nécessaires ni d'aboutissements prévisibles. Mais l'incertitude ne doit pas dispenser d'agir, puisqu'elle est d ' a b o r d une i n v i t a t i o n à m i e u x m e s u r e r les c h o i x et à p e s e r p l u s consciencieusement leurs effets. NOTES 1 Jack D. Sparks (1985). The Creative Connection: University-Industry Relations. Research Management, 28(26), nov.-déc., p. 20. 2 OCDE, (1988). Perspectives de politique scientifique et technologique. Paris, p. 21. 3 D. Rahm, B. Bozeman, et M. Crow (1988). 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