Eléments d'un modele global de planification des effectifs étudiants au niveau universitaire GILLES GUERIN* La mise en place d'une planification des effectifs étudiants au niveau universitaire exige trois préalables externes: analyse prospective de la structure professionnelle, estimation de la demande sociale et analyse du lien formation-emploi. A partir d'une structuration du système universitaire et d'un système d'information sur la population étudiante, il devient alors possible de bâtir un modèle de planification des effectifs en fonction de contraintes et d'objectifs réalistes. La divergence des objectifs de l'enseignement supérieur ne peut permettre une résolution automatique du programme mathématique engendré mais favorise plutôt l'implantation d'un système interactif homme-ordinateur. Sous une forme aussi peu quantitative que possible il s'agit de prouver l'utilité et le réalisme d'un modèle de planification des effectifs étudiants au niveau du système universitaire québécois. 1. La nécessité d'une planification des effectifs étudiants Dans la gestion des effectifs étudiants, les administrateurs universitaires se trouvent de plus en plus souvent confrontés à des problèmes urgents et constants dont la solution ne peut découler que de politiques à long terme. Sans un cadre global de planification, les décisions ne peuvent avoir ni la cohérence ni l'efficacité suffisante pour atteindre le résultat souhaité. Quels sont ces problèmes urgents et constants? Ce sont d'abord des problèmes d'évaluation des programmes d'enseignement: forme t-on le type de spécialistes recherché sur le marché du travail? les aspirations en éducation universitaire de toutes les classes de la société sont-elles satisfaites? le rendement des programmes offerts est-il satisfaisant? l'institution a t-elle une mission particulière au niveau de l'éducation permanente, des études graduées, etc. . . ? Il s'agit d'évaluer la qualité, la cohérence et la pertinence des programmes offerts puis d'envisager leur évolution dans le futur. Contrôle par rapport à quelles stratégies? Modifications en fonction de quels objectifs? Ce sont également les problèmes de cheminement des étudiants dans ces programmes. Combien d'étudiants doit-on admettre dans chaque programme? Doit-on pratiquer une politique de sélection à l'avantage des élites ou ouvrir l'enseignement universitaire au plus grand nombre possible de personnes? Faut-il favoriser les arrêts temporaires des études ou encourager un processus continu d'éducation? Le nombre de diplômés dans chaque programme est-il approprié, insuffisant ou exagéré? La réponse à ces questions exige l'élaboration d'une véritable politique des admissions qui respecte la demande sociale et s'harmonise, •Professeur agrégé, Ecole des relations industrielles, Université de Montréal. 10 Gilles Guerin qualitativement et quantitativement, aux changements structurels de la population active. Il est souhaitable d'équilibrer nos prévisions de populations actives avec les probabilités de cheminement d'abord dans les systèmes d'enseignement et ensuite sur le marché du travail. Enfin toutes ces décisions se prennent avec des ressources financières que les Universités doivent de plus en plus disputer aux autres besoins fondamentaux de la Société (santé, avantages sociaux, aménagement, enseignement non-universitaire, etc. ..). L'opinion publique par l'intermédiaire des gouvernements exige une gestion efficace du budget universitaire. On s'inquiète alors de taille optimale des institutions, de taille critique ou de duplicata des programmes, de coût par type d'étudiants, de rationalisation budgétaire, etc. . . Ceci afin d'obtenir une utilisation plus efficace des ressources consacrées à l'éducation. Plus efficace par rapport à quoi? en fonction de quoi? La planification des effectifs étudiants n'apporte certes pas une réponse à toutes ces questions, pas plus qu'elle ne limite les risques encourus ou n'assure une meilleure connaissance du futur qui reste, en partie, tout aussi imprévisible. Par contre, en clarifiant les processus de cheminement et les liens avec les systèmes environnants et surtout en explicitant les choix fondamentaux, elle permet aux responsables de tous les échelons de construire et d'apprécier des règles de gestion cohérentes et congrues. Comme l'écrit H. Janne [ 15/, "ce qui importe c'est de donner aux sociétés complexes et en changement la dimension du futur en vue de leurs options et de leurs décisions. Refuser la planification, ce serait accepter que les sociétés modernes vivent en état de crise permanente quelles que puissent être les promesses du progrès technique et la bonne volonté de responsables travaillant dans l'aveuglement de l'urgence". Si chaque administrateur peut envisager les conséquences prévisibles de ses décisions, s'il peut les comparer avec un ensemble d'objectifs ou de missions clairement définies au niveau universitaire, s'il est capable de détecter des écarts entre ce qui a été fait et ce qui aurait dû être fait, alors il devient beaucoup plus apte à répondre à toutes les interrogations précédemment soulevées. Les détracteurs de la planification prétextent un futur incertain pour travailler au jour le jour. Or c'est justement parce que le futur est incertain qu'il faut planifier. Face aux changements, même imprévisibles, il faut pouvoir s'adapter et évoluer rapidement, avec cohérence et avec une grande économie des moyens. Seul un cadre de planification peut permettre cet état d'esprit adaptif 1 et cette synergie fonctionnelle qu'exige notre monde en rapide évolution 2 . La mise sous forme de "modèle" a pour rôle de rendre encore plus rapide et plus efficace certaines décisions en en testant à l'avance les conséquences possibles anticipées. Idéalement on souhaiterait disposer d'un modèle global qui représente et explique toutes les composantes du système universitaire et de son environnement. Ceci est généralement impossible vu le grand nombre de variables considérées et la complexité des liens avec les systèmes environnants. L'objectif des prémiers modèles de planification des effectifs est donc d'estimer ou de mesurer les cheminements laissant à des modèles ultérieurs et plus sophistiqués le soin d'expliquer et d'intégrer. De tels modèles sont souvent de rudimentaires simulations du comportement réel ^Lire dans " M é t h o d e s de planification adaptive. dans l'entreprise", de R. Ackoff / 1 / p p 31-39: la planification ^Bien que nous n ' a y o n s pas encore reçu ce livre au m o m e n t de la rédaction de cet article, m e n t i o n n o n s au niveau canadien le plaidoyer (au titre équivoque) de Bernard Trotter en faveur de la planification universitaire [ 1 0 ] 11 Elements d ' u n modele global et on doit laisser à chaque responsable le soin d'interpréter 3 et surtout de pondérer les résultats du modèle à l'intérieur du cadre de planification. Néanmoins leur aide est inestimable 4 lorsqu'il convient d'élaborer par exemple une politique d'admission cohérente qui intègre les différentes missions du système universitaire. Il est également possible de constater très vite les conséquences d'une modification des cheminements des étudiants dans la structure ou d'un processus d'élimination trop rigoureux. De plus les réflexions approfondies qu'ils suscitent sur les structures, les besoins et les choix des différentes institutions améliorent cette capacité d'adaptation active qui devient le trait principal de la planification moderne. 2. Le préalable Un tel modèle de planification des effectifs étudiants devrait se concevoir au niveau du groupe d'institutions qui se partage un même budget gouvernemental et s'engage globalement à fournir la quantité et le type de main-d'oeuvre requis par le marché du travail. Rendre compatibles les structures de formation et les structures professionnelles n'est peut-être pas le seul rôle de l'Université mais c'est certainement son rôle principal. Or cette harmonisation de la production des diplômés avec les besoins du développement économique implique un préalable: une planification générale de ce développement économique. Les modèles de planification sont souvent critiqués car on veut leur faire jouer un rôle bien plus important que celui pour lesquels ils ont été conçus. Simples courroies de transmission entre les choix fondamentaux ou objectifs de style 5 et la gestion quotidienne, ils ne sont que des outils pour tenter d'optimiser la trajectoire entre l'état actuel et l'état souhaité. Des simples projections 6 sont insuffisantes pour décrire cet état souhaité car elles ne font que refléter des contraintes alors qu'une certaine latitude de choix est possible dans le long terme. Cette volonté d'exercer des choix doit s'exercer et doit infléchir ou corriger les projections anticipées. Si un consensus ne se fait sur une certaine évolution, réalisable et souhaitée à la fois, des structures de population active quelles peuvent bien être les critères du système universitaire pour contrôler quantitativement et qualitativement ses effectifs étudiants? Il faut comme l'écrit Janne H. / 1 5 / que soit mise en place une "permanente analyse prospective de la structure professionnelle". Cette analyse se retrouve généralement à l'intérieur des plans de développement économique où la planification de la main-d'oeuvre représente un des secteurs clefs. Janne H . / 15/poursuit donc: "Au delà du jeu des contraintes inéluctables qui ne sont qu'un facteur partiel de l'avenir, il n'y a aucune chance de prévoir ce que sera la structure de la population si une politique de développement économique n'est pas conçue à long terme". "Il faut donc que les gouvernements fassent le nécessaire pour lier " 3 Models are to be used, n o t to be believed" (H. Theil) 4 U n lecteur peu convaincu de ce p o i n t devrait se reporter au chapitre IX "Purpose of Models" et "Why Models" du rapport technique de l'OCDE, "Mathematical Models for the Education Sector", Paris 1973 [16J 5 L i r e dans "Méthodes style. de planification dans l'entreprise" de Ackoff R. [ ï f p p 43-49: les objectifs de 6 Ainsi des projections des besoins en Main-d'oeuvre telles que celles publiées par le Ministère de la Main-d'Oeuvre et de l'Immigration sont "inappropriées" c o m m e objectifs de planification. Cette insuffisance des projections de l'emploi dans la planification de l'Education vient d'ailleurs d'être soulignée dans un livre récent par celui même qui les a construites [2] 12 Gilles Guerin étroitement les plans d'éducation aux plans nationaux de développement intégral, du point de vue théorique aussi bien que sur le plan organique." [ 19/ 3. Les cheminements externes La compréhension des liens avec les systèmes environnants est nécessaire à l'utilisation pratique d'un modèle de planification des effectifs étudiants. Le cheminement préalable des étudiants ainsi que le cheminement ultérieur des gradués universitaires sont des éléments externes au système universitairé et difficilement intégrables au sein d'un même modèle 7 . Parler de satisfaction de la demande sociale si l'on est incapable de distinguer et de mesurer les caractéristiques des différentes filières qui mènent au système universitaire reste un concept théorique qui restreint la portée opérationnelle du modèle. De la même façon harmoniser les structures de diplômés à celles de la population active ne prend un sens que si l'on est capable de mesurer sinon d'expliquer la diffusion des diplômés dans les structures professionnelles. Au niveau des systèmes en amont, il est primordial d'estimer à partir de variables démographiques et sociologiques le potentiel d'individus capables d'entreprendre des études universitaires. L'analyse des pré-orientations en fonction des goûts, des catégories sociales, du marché du travail e t c . . . pourrait permettre de cerner cette demande sociale qu'il est si important de voir se concilier avec les futures structures professionnelles. On ne dit pas que la demande sociale "conditionne" ni qu'elle doive "s'ajuster" aux futures structures de la population active. La demande sociale est une contrainte qu'il faut essayer de satisfaire le plus possible (sous peine d'inefficacité ou de désordre) tout en essayant également de réaliser nos objectifs de style. Si ceux-ci se révèlent trop ambitieux, la phase de contrôle du processus de planification verra à leur révision au cours des périodes ultérieures. Il y a là un processus cyclique à correction constante plus dans l'esprit des processus généraux de planification qu'un processus à interactions multiples où la prise de décision est souvent délicate. Au Québec le projet "Asope" 8 est un premier pas pour analyser cette demande sociale au niveau du système collégial, principale porte d'entrée du système universitaire. Pourtant il ne faut pas oublier que la population active ellemême représente un large secteur de cette demande sociale pour l'éducation universitaire. Le changement sous toutes ces formes génère des besoins nouveaux de connaissance qui poussent beaucoup d'individus à se remettre à étudier au cours de leur vie professionnelle. Ce type de clientèle universitaire devrait être un élément d'équilibrage dans la planification des effectifs. Si on fait un parallèle avec le marché interne de travail d'une entreprise, elle représente la demande interne d'éducation et à ce titre est beaucoup plus malléable aux exigences économiques de développement que la demande externe représentée par les étudiants du système collégial. Par une planification des effectifs étudiants le rôle de l'Université est donc de faire un pont 7 Des modèles (Bénard J. /4/, Thonstad T. / 1 7 / ) réalisent ce couplage des systèmes d'enseignement et du système économique. Néanmoins ils le f o n t au prix d'hypothèses e x t r ê m e m e n t rigides. Plus que des super-modèles à rôles multiples, il semble plus réaliste, actuellement, de bâtir, et d'articuler si nécessaire, des modèles partiels à f o n c t i o n s et à approches spécifiques. "Recherche financée par le ministre de l'Education et dirigee par Guy Rocher (Université de Montréal) et Pierre Bélanger (Université Laval). Cette recherche sur les aspirations scolaires et les orientations professionnelles touche 2 5 , 0 0 0 étudiants interrogés périodiquement p e n d a n t 6 ans à l'école et sur le marché du travail. 13 Elements d'un modele global entre cette demande sociale et les choix des structures de population active. Pour reprendre la tournure de phrase de Janne H., cela exige une permanente analyse prospective de la demande sociale pour des études universitaires. Le deuxième type d'analyse réfère au lien formation-emploi. La relation existant entre les structures de gradués et les structures professionnelles est assez diffuse. Tant que cette relation ne sera pas éclaircie il sera inutile de sophistiquer les stratégies de développement des institutions universitaires. S'il est difficile de spécifier les connaissances nécessaires à l'occupation d'un emploi, il doit être possible de mesurer la diffusion des différents types de gradués dans les structures professionnelles. L'analyse de ces cheminements devrait permettre de cerner les programmes les mieux adaptés à chaque profession ou de les créer lorsqu'une grande diversité de gradués se retrouve au sein d'une même profession. Les systèmes de classification des professions (DOT, CITP, CCDP ) sont suffisamment au point pour qu'on puisse envisager une telle analyse. La recherche de Farine A. /10/ est un premier essai en ce sens. La diffusion de deux cohortes de l'Université de Montréal sur le marché du travail a été estimée. Malheureusement la faible taille de l'échantillon et le peu d'ancienneté de ces diplômés sur le marché du travail rendent les résultats peu significatifs au niveau d'une planification des effectifs par secteur d'étude. Néanmoins une recherche semblable de type dynamique ou longitudinale devrait être reprise au niveau de la province. Permanente et remise à jour périodiquement, elle permettrait d'estimer le cheminement des différents types de gradués sur le marché du travail. Cette simple mesure du phénomène permettrait de juger du type de lien qui peut exister entre un programme d'enseignement et le marché du travail. Par la suite il serait encore plus satisfaisant de rechercher les causes de cette diffusion dans les structures professionnelles puisque ceci permettrait d'envisager la modification des comportements ou même des formations en fonction des objectifs souhaités. Pourtant avant de songer à améliorer le cheminement des gradués sur le marché du travail il faut déjà l'estimer par l'intermédiaire d'une analyse dynamique et permanente du lien formation-emploi. 4. La structuration du système Le préalable (interne) à toute élaboration de modèle consiste à structurer le système retenu et à "définir une typologie simplifiée des étudiants appartenant à la population concernée" [3]. Les différentes formations sont regroupées à l'intérieur de secteurs d'étude relativement indépendants les uns des autres et présentent une certaine homogénéité vis-à-vis du marché du travail. Une telle classification regroupant 51 secteurs d'étude a déjà été proposée par l'UQUAM [ 11/. Un autre système proposé par le WICHE comprend une douzaine de secteurs supplémentaires [6]. A l'intérieur de chaque secteur, on compte un certain nombre d'états définis par les valeurs d'un certain nombre de variables telles que institution, cycle d'études et niveau d'avancement des études. Certains de ces états sont des entrées possibles du secteur d'étude alors que d'autres sont des états de sortie normale où la graduation sera possible. Les lois de survie et d'évolution dans le secteur permettent d'estimer à chaque période les effectifs étudiants dans la structure ainsi que les départs du système universitaire considéré. Par exemple deux matrices peuvent résumer le cheminement des étudiants dans le système universitaire (P) et les départs hors du système universitaire (W). Dans le cas d'un système ouvert avec des admissions (r), on lie alors les structures d'effectifs pendant la période t à celles de la période t-1 par l'équation: 14 Gilles Guerin n(t) = n(t-l).P(t-l) + r(t) (1) de même les structures de gradués à la fin de la période t sont données par m(t) = n(t).W(t) (2) Même si l'indépendance des secteurs d'étude ne peut être retenue à cause de changements d'orientation trop fréquents, les tailles considérables des vecteurs et matrices ci-dessus ne sauraient être un problème pour les ordinateurs modernes qui utilisent des présentations condensées de ces matrices dont plus de 90% des éléments sont généralement nuls. La stabilité de ces matrices de cheminement n'est pas une nécessité et des mises à jour périodiques des proportions de transition permettent de tenir compte des modifications de comportement à court ou moyen terme. L'absence de données individuelles et opérationnelles sur les effectifs étudiants était jusqu'à récemment un handicap majeur pour de telles analyses. Seul, au Québec, le bureau du Registraire de l'Université McGill dispose d'une banque automatisée depuis 1964. Ceci explique pourquoi les premières études/11, 12/ de ce genre au Québec se limitent à certains secteurs d'étude de cette institution. Les résultats sont encourageants et au niveau du Baccalauréat du secteur d'étude analysé, la précision des estimés d'effectifs étudiants oscille entre 3 et 7% pour des horizons inférieurs à 3 ans. Il s'agit là d'estimés désagrégés par rapport au niveau des études. A un niveau agrégé les erreurs se compensent et il est rare de constater des écarts entre les prévisions et les observations qui dépassent 1 à 2%. Pour les deuxième et troisième cycle, la petite taille des groupes et la multiplicité des transitions possibles rendent les prévisions plus hasardeuses. Sur les mêmes horizons l'écart relatif moyen sur les estimés désagrégés semble se maintenir à moins de 10% au niveau de la maîtrise et à moins de 20% au niveau du doctorat. Avec le développement des banques automatisées dans presque toutes les institutions universitaires québécoises, il devient donc de moins en moins utopique d'envisager l'élaboration des matrices de cheminement P et W décrites précédemment. 5. Les objectifs La structuration du système universitaire permet d'analyser le vieillissement de la population étudiante. Il s'agit d'une simulation, à l'aide par exemple des systèmes d'équations linéaires (1) et (2), du comportement réel des effectifs. En fonction d'une loi d'admission qui détermine les vecteurs r(t) la simulation estime les structures de gradués m(t) qui sortiront du système universitaire au cours des périodes ultérieures. Le choix des structures d'admission conditionne ainsi dans certaines limites les structures futures de gradués. C'est donc surtout au niveau des admissions que doit s'effectuer le contrôle nécessaire pour faire évoluer le système dans le sens souhaité. Or les pressions à ce niveau sont multiples et souvent divergentes et il es difficile de ramener à un seul critère ce qui est souhaitable. Il s'agit de choisir les critères ou objectifs de performance qui vont permettre de faire un choix parmi les solutions possibles du modèle. Ces critères ne sont que la traduction quantitative et simplifiée des objectifs généraux de l'Enseignement Supérieur [9] pertinents à la planification des effectifs. Ces objectifs de style sont souvent exprimés en termes vagues: développement de la société, démocratisation des études, développement de l'éducation 15 Elements d ' u n m o d e l e global permanente, orientation etc. . . qu'il faut traduire en termes opérationnels afin d'élaborer une politique des admissions globale et anonyme. Nous en avons retenu trois: adaptation des formations à l'environnement économique et social, satisfaction de la demande sociale et respect de l'autonomie des institutions universitaires. Le premier objectif est plutôt celui du planificateur central qui souhaite orienter les admissions de manière à former le nombre de diplômés nécessaire au développement économique et social. A ce titre il est plutôt favorable à l'élaboration de modèles dont l'effet centralisateur et simplificateur lui est souvent favorable. "How to win power with mathematicals models" [8], A l'opposé la satisfaction complète de la demande sociale pourrait impliquer des structures d'admission fort différentes de celles préconisées par le planificateur central. Les modèles supposent souvent implicitement que cette demande est supérieure aux besoins d'effectifs nécessaires au développement. Des coûts d'inadaptation ou d'inefficacité sont pourtant engendrés par les composantes non satisfaites de cette demande sociale. Il serait donc souhaitable qu'un modèle, même aux mains du planificateur central, cherche à réduire la divergence entre les deux objectifs. En position intermédiaire et sensibles aux deux types d'influence, les institutions universitaires tentent d'élaborer des objectifs et des stratégies de développement à long terme en fonction de leurs ressources humaines et physiques, des populations qu'elles desservent etc. . . Même si la planification des effectifs au niveau de l'institution n'a de sens qu'intégrée au niveau de la planification globale du système universitaire, elle-même intégrée à la planification du développement économique, l'institution reste autonome et libre de compléter les objectifs globaux par des objectifs particuliers qui lui sont propres. Les stratégies particulières qui s'ensuivent peuvent être dans une première phase élaborées avec l'aide de modèles spécifiques au niveau de l'institution mais dans tous les cas la réconciliation de la stratégie globale et des stratégies particulières est une nécessité qui assure la cohérence et la validité ultérieure de ces stratégies. Plus qu'une politique optimale dont la signification est délicate lorsque les critères sont multiples, un modèle devrait donc permettre d'élaborer des politiques satisfaisantes en regard des différents critères. Ces solutions satisfaisantes ou compromis sont généralement le résultat d'une certaine forme de concertation. Il serait extrêmement fructueux d'incorporer cette phase de négociation à l'intérieur même du modèle. Pourtant il faut avouer que la multitude de modèles d'optimisation relatifs à la planification des effectifs étudiants f l 4/ adoptent des approches complètement automatiques et ne considèrent qu'un seul critère d'optimisation à la fois. Ceci explique peut-être la méfiance des administrateurs à leur égard ainsi que leur emploi relativement restreint. 6. Un modèle global En plus des contraintes principales (1) et (2) on peut élaborer un certain nombre de fonctions économiques basées sur les trois critères décrits précédemment. 6.1 Adaptation des formations à l'environnement économique et social. Ayant estimé la diffusion des diplômés dans les structures professionnelles, le planificateur central juge que la production d'une structure m* (t) de ces diplômés lui permettrait d'atteindre les objectifs de développement économique et social. Il s'agit donc de minimiser jusqu'à un horizon T la somme des écarts absolus entre les structures m(t) et les objectifs m*(t). 16 Gilles Guerin En posant m(t) - m*(t) = u(t) - v(t); t = 1, 2. . . T (3) u(t),v(t)>0 t = 1,2.. . T (4) ; on rend linéaire la fonction économique qui devient 2 [ u ( t ) + v(t)] t= î (5) 6.2 Satisfaction de la demande sociale. L'estimation de la demande sociale devrait permettre de classer les préférences des futurs étudiants vis-à-vis des différents points d'entrée possibles du secteur universitaire. Au cours de la période précédant leur admission, ces préférences sont d'ailleurs affinées puisque les étudiants doivent fournir dans la plupart des institutions leurs deux ou trois premiers choix. Dans le cas général la demande sociale serait donc estimée par r*(t) et il s'agirait de minimiser S|r(t)-r*(t)| t=1 ou S [ w ( t ) + z(t)] t =t (6) si l'on linéarise avec des changements de variables r(t)-r*(t) = w ( t ) - z ( t ) ; t = 1, 2. . . T (7) w ( t ) , z(t) > 0 t= 1, 2. . . T (8) ; 6.3 Missions particulières de chaque institution universitaire. Ces missions particulières peuvent pousser les institutions à contrôler l'expansion ou la contraction de leurs différents secteurs d'études. Elles peuvent également imposer des restrictions sur les distributions relatives ou absolues des étudiants entre les différents niveaux d'études de certains secteurs. Il s'ensuit tout un ensemble de contraintes portant sur les aggrégations ou les répartitions d'étudiants entre les différents états qui marquent la progression des étudiants dans la sous-structure relative à l'institution. Ces contraintes peuvent réfléter le jugement des administrateurs ou la solution d'un modèle d'optimisation au niveau de l'institution [13J. Il est possible de présenter ces objectifs sous la forme n*(t) bien que souvent les objectifs ne soient pas désagrégés au niveau de chaque état de la structure. Si l'on veut respecter les choix des institutions, il devient nécessaire de minimiser T T 2 |n(t) - n*(t)| t=î ou S [x(t) + y(t)] t=î (9) Si l'on introduit le changement de variables n(t)-n*(t) = x(t)-y(t); t=l,2...T (10) x(t),y(t)>0 t = 1,2. . . T (11) ; 6.4 Contraintes supplémentaires et modèle global. La souplesse du modèle est considérable et des contraintes supplémentaires peuvent être ajoutées pour refléter certaines caractéristiques de fonctionnement. Par exemple: rj(t) = 0 jeJ t = 1, 2 . . . T (12) 17 E l e m e n t s d ' u n m o d e l e global impose des admissions nulles dans l'ensemble J des états qui ne sont pas des points d'entrée du système universitaire. k k 2 r j ( t ) < S r j *(t) t=î t =1 t = 1, 2. . . T (13) impose des admissions agrégées inférieures à la demande sociale •j(t) < rj**(t) t = 1, 2. . . T (14) n t = 1, 2. . . T (15) j(t) < nj**(t) sont des contraintes qui indiquent le contingentement de certains états du système; r j **(t) et n- **(t) sont alors des capacités maximales et non des objectifs souhaités. Si pour la période précédant l'admission, les choix de chaque étudiant sont ordonnés, on peut tenter d'optimiser la fonction de préférence de l'ensemble des étudiants. Ce problème d'affectation peut se résoudre dans le cadre du problème global en introduisant la nouvelle variable r ¡j qui vaudra 1 si l'étudiant i est affecté au point d'entrée j et 0 autrement (j prenant la valeur nulle dans le cas d'une non-admission). On a alors: 2 r;j(l)= 1 i=0 (16) S ^ ( 1 ) = rj(l) i= 1 Min i=l,...N j=l,...k (17) 2 i=1 2 CW1) j=0 (18) Cjj reflétant les préférences des N étudiants vis-à-vis chacun des k+1 états (y compris la non admission). Il est vrai qu'un tel modèle d'allocation sort du cadre d'élaboration d'une politique globale et anonyme puisqu'on tient compte des préférences individuelles à court terme. Il devrait donc être repoussé au niveau de la programmation qui tente de mettre en oeuvre les stratégies proposées par le plan. Si l'on englobe que les contraintes principales, une version de base du modèle global serait donc n(t) - n(t-l).P(t-l) - w(t) + z(t) = r*(t) t = 1, 2. . . T (19) n(t) - x(t) + y(t) = n*(t) t = 1, 2. . . T (20) n(t) . W(t) - u(t) + v(t) = m*(t) t = 1, 2. . . T (21) t = 1, 2. . . T (22) w(t), z(t), x(t), y(t), u(t), v(t) > 0 T Min 2 [u(t) + v(t)] t =i (23) Min 2 W t ) + y(t)] t=i (24) Min 2 [w(t) + z(t)J t =i T (25) 18 Gilles Guerin Remarquons qu'il n'y a pas concordance dans le temps entre les critères à optimiser. La demande sociale à satisfaire est assez bien délimitée dans le court terme alors que les prévisions en moyen et long terme sont plus qu'incertaines. Les prévisions d'effectifs ou de diplômés nécessaires au développement sont pour leur part établies en long terme comme les plans de développement général à l'intérieur desquels elles sont des composantes importantes. Heureusement ces décalages sont compensés par le fait que les objectifs précisés à court terme portent sur les entrées du système alors que ceux à long terme portent plutôt sur les sorties du système. Ainsi les pressions exercées par ces trois critères au niveau des admissions ont la simultanéité suffisante pour générer des solutions réalistes et stabilisées dans le temps. 7. Des solutions 9 Différentes approches utilisant des données fictives ont été explorées pour la résolution du modèle proposé. La formulation du problème se prête assez bien à la technique du Goal Programming de Chames et Cooper/7/. En effet les trois critères d'optimisation peuvent être rendus compatibles en les transformant en écarts relatifs moyens. Ils peuvent alors être intégrés au sein d'une fonction économique unique où des coefficients de préférence a, /3, y, reflètent l'importance relative accordée aux différents critères. Min 2 a.[u(t) + v(t)] . q ^ t ) + j3.[x(t) + y(t)] ,q 2 (t) + 7 . [ z ( t ) + w(t)] .q 3 (t) t =1 (26) avec a + /3 + y = 1 En paramétrisant les coefficients de préférence de la fonction économique, les différentes solutions ont été générées à l'aide du langage OPTIMA puis du langage APEX-II de Control Data Corporation. Outre le fait que les solutions générées soient des solutions extrémales de l'ensemble convexe des solutions réalisables, on peut s'interroger sur la détermination des coefficients a, /3, y. Qui est en mesure d'apprécier à priori l'importance relative des différents critères? De plus la résolution automatique du programme ne permet pas d'accéder aux combinaisons linéaires de solutions extrémales qui pourraient représenter des compromis satisfaisants relativement aux trois critères. Les approches ultérieures ont donc été orientées vers des systèmes homme-machines en vue d'explorer les solutions en fonction de choix partiels effectués par le décideur à des étapes antérieures du processus séquentiel de recherche d'une "solution satisfaisante", cette dernière notion se substituant à celle de solution optimale de l'approche précédente. Sans avoir à préciser l'importance relative d'un objectif par rapport à uñ autre, on se contente à chaque étape, de préciser ce qui semble inacceptable dans les solutions extrémales générées par optimisation successive d'un seul critère. Ces contraintes supplémentaires limitent le domaine des solutions réalisables et permettent d'accéder à des solutions non extrémales qui peuvent s'avérer des compromis satisfaisant pour l'ensemble des critères. Comme l'écrivent Benayoun R. et Tsrgny J . / 5 / : "il convient pour beaucoup de problèmes de décision, de restituer à l'ordinateur son rôle et sa vocation de partenaire constant du ^Bien que ce livre ne nous soit pas encore parvenu, m e n t i o n n o n s le premier livre dédié exclusivement au problème des critères d'optimisation multiples en programmation linéaire "Linear multiobjective programming" de Zeleny M. / 2 0 / . 19 Elements d'un modele global décideur, qu'un certain nombre de méthodes quasi-automatiques tendent à négliger. . . .Outre la possibilité pour le décideur d'intervenir à son gré dans le déroulement du processus qui conduit à la décision finale en utilisant au mieux l'information intermédiaire acquise, la technique décrite lui permet chemin faisant, de mesurer, mieux qu'il ne pouvait le faire à priori, l'importance relative des différents critères . . ." Cette nouvelle approche heuristique apparaîtra certainement beaucoup plus réaliste et humanisante aux yeux de nombreux administrateurs. Nous pensons qu'elle représente la solution d'avenir des modèles qui, comme les modèles d'éducation, doivent intégrer plusieurs critères d'optimisation et concilier plusieurs paliers de décision. 8. Conclusion Nous avons tenté dans cet article de répondre à un sous-titre interrogatif du Conseil des Universités: Vers une planification des politiques de recrutement 1 0 ? Sous l'éclairage des objectifs multiples de l'Enseignement Supérieur, nous pensons que cette planification exige trois préalables: analyse prospective de la structure professionnelle, estimation de la demande sociale et analyse du lien formation-emploi. La réunion de toutes ces informations peut sembler coûteuse, elle représente néanmoins le prix à payer pour rendre opérationnelle toute planification des politiques d'admission. Convaincus, comme le Conseil des Universités, de "la nécessité de la planification et de ses limites" n , nous avons tenté de réconcilier les modèles d'optimisation avec les exigences particulières de la planification dans le système universitaire. L'introduction de critères multiples comme facteurs d'optimisation et l'élaboration de solutions satisfaisantes par un système interactif homme-ordinateur sont deux éléments qui permettent de tenir compte des dipôles centralisation — décentralisation et autonomie — coordination qui sont les contradictions fondamentales du système universitaire actuel. La modélisation n'est donc plus un exercice de style théorique;humanisée, contrôlée par les différents paliers de décision elle permet une rationalisation du développement en fonction des hypothèses simplificatrices retenues (objectifs, structures, lois d'évolution, etc. . .) Les fichiers d'étudiants étant en voie d'automatisation dans la plupart des institutions universitaires, il semble que leur raccordement à un Régistre Central des Admissions permettrait à ce dernier de dépasser son rôle éventuel de simple allocation des étudiants en fonction de leurs préférences pour l'intégrer à un véritable cadre de planification. La structuration du système universitaire étant confirmée, les cheminements des effectifs à l'intérieur du système étant estimés, le Régistre Central pourrait, à un niveau global et anonyme, élaborer une véritable politique des admissions en fonction des objectifs de l'Enseignement Supérieur. Trois objectifs ont été retenus comme critères d'optimisation du modèle linéaire proposé. Ce sont la satisfaction de la demande sociale, la production des diplômés nécessaires au développement économique et le respect des missions particulières de chaque institution. Ce choix, même simplificateur de l'ensemble des objectifs de l'Enseignement Supérieur, reflète assez bien les recommandations apparemment contradictoires du Conseil des Universités [9] et les pressions divergentes (humanisme-pragmatisme, autonomie-contrôle public, ^ T i t r e à la page 18 au cahier III des objectifs de l'Enseignement Supérieur [9]. Elément de la conclusion à la page 8 de la même référence. 20 Gilles Guerin sélection-orientation etc. . .) qui s'exercent sur les structures d'admission. L'élaboration d'une solution satisfaisante en regard de critères aussi divergents semble une preuve du réalisme et de l'applicabilité de certaines techniques de programmation mathématique dans le domaine de la planification universitaire. 21 Elements d'un modele global 9. Les Références (1) Ackoff R., Méthodes de planification dans l'entreprise, Les éditions d'organisation, Paris, 1973. (2) Ahamad B. and Blaug M., The Practice of Manpower Forecasting, Elsevier, Amsterdam, 1973. 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